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Mathématiques et élèves à besoins particuliers

Ce matin, la journée de la régionale de Haute Normandie commence par une conférence d’Edith Petitfour, chercheuse au LDAR André Revuz. Elle illustre le thème de la journée, « faire des maths avec son corps », avec le thème « mathématiques et élèves à besoins particuliers ».

Manipuler pour apprendre

La manipulation est préconisée dans les programmes au cycle 1, pour composer et décomposer des nombres et développer les manipulations mentales. Au cycle 2, on parle d’agir, manipuler, expérimenter sur des situations qui emmènent vers le symbolisme. Cela se poursuit au cycle 3 et au cycle 4 le programme précise que pour certains élèves la phase de manipulation est indispensable pour ensuite verbaliser et accéder à l’abstraction : le vécu expérimentale et manipulatoire des élèves favorise les acquisitions.

Oui, mais…

Joël Briand insiste sur les moments de suspension de la manipulation, pour anticiper. Manipuler permet de s’approprier un problème, de se le représenter et de valider, mais il faut aussi permettre et favoriser les représentations mentales. Le but, c’est de conceptualiser, que ce soit sur le nombre ou en géométrie.

Les élèves dyspraxiques

Lorsqu’on fait manipuler les élèves dyspraxiques (par exemple), on les met en échec. Alors comment faire ?

La dyspraxie, ou trouve développemental de la coordination, comprend des compétences de coordination motrice inférieures à la moyenne, en général inférieures de 2 ans. Ce trouble est persistant, impacte la vie scolaire et la vie quotidienne. Si rien n’est fait, ces élèves sont en échec. Il n’y a aucun handicap intellectuel. Dès la maternelle, on constate un décalage : colorier est difficile, le geste graphique est très coûteux, l’enfant peut résister à certains exercices pour se protéger. Repérer des assemblages, identifier des représentations est aussi difficile. Couper, coller, avoir un cahier propre et ordonné sont des obstacles douloureux. Les enseignants peuvent interpréter ces échecs comme des provocations ou le fait de refuser de s’investir, à tort.

Edith nous a expliqué une séance qui l’a marquée, avec une élève dyspraxique qui a rencontré des tas de soucis liés à son handicap : elle secoue sa main pour détendre son poignet et met de l’encre partout, qu’elle nettoie comme elle peut, fait tomber la trousse de la voisine de derrière, a un souci de mine de crayon coincée dans le taille-crayon, etc. Au final, l’enfant n’a pas pu terminer le premier exercice quand ses camarades sont terminé la série donnée à faire par l’enseignant. Elle est en situation de difficulté, empêchée d’apprendre, sans doute frustrée. L’enseignant, de son côté, peut mal interpréter la situation.

Michelle Mazeau est une spécialiste de la dyspraxie. Elle explique que l’enfant dyspraxique est très souvent mis en difficulté par les méthodes pédagogiques et le matériel utilisé, mais pas par les connaissances ou les concepts à acquérir. C’est vraiment la façon dont on enseigne qui ne convient pas, et il faut donc trouver un autre moyen d’enseigner.

Les gestes du regard sont différents aussi : ici on suit le regard d’un enfant dyspraxique qui doit dénombrer les disques rouges. Si on lui demande de recommencer, le résultat est instable.

Ces troubles visuo-spatiaux ont des conséquences sur les calculs, par exemple pour poser les opérations, s’organiser de façon spatiale sur la feuille. Relier des points à la règle peut être d’une difficulté terrible. L’enfant sait ce qu’il doit faire, voit à la fin de son essai que cela ne va pas, et gomme, recommence. Tenir le compas est au moins aussi peu accessible à l’enfant, qui s’épuise à faire ce qu’il peut. Sur un logiciel tel que GeoGebra, il y a le souci de cliquer au bon endroit, de gérer le zoom de l’écran : le numérique allège la manipulation mais n’est pas une solution miracle. Il faut un apprentissage adapté du logiciel lui-même.

La dysgraphie fait partie de la dyspraxie, et les élèves dyspraxiques sont gênés pour écrire lisiblement, sur les lignes, et ne peuvent pas forcément se relire eux-mêmes. Là, un moyen de compensation est de passer par l’oral. Mais en évaluation par exemple, c’est compliqué : il faut trouver un moyen de permettre à l’élève d’oraliser sans gêner les autres.

Cadre de l’analyse de l’action instrumentée pour arriver à un moyen de compensation

Edith s’appuie sur les travaux de Rabardel. Une action instrumentée est l’utilisation d’un objet technique qu’un individu manipule avec son corps dans un environnement de travail donné, dans un but déterminé, par exemple faire un dessin en papier-crayon, ou analyser des propriétés.

Par exemple, pour tracer un cercle de centre A et de rayon AB demande tout un tas d’actions : trouver le compas, peut-être tailler le crayon, le régler dans le compas, écarter les branches selon le rayon, poser la mine au bon endroit, parvenir à bien tenir le compas par le tourillon ou bien faire tourner la feuille en appuyant bien sur le compas, faire face aux incidents (la mine glisse, les branches s’écartent au moment du tracé…), etc.

L’intention d’agir est de tracer le cercle, ici. Cette intention engendre un projet d’action : des actions élémentaires (comme le choix de l’objet technique, son positionnement par rapport aux objets graphiques, le tracer d’objet graphique). Des connaissances géométriques sont en jeu (c’est quoi un cercle), des connaissances graphiques (le croix représente un point par exemple), des connaissances techniques (un compas, comment ça marche ?), des connaissances spatiales (repérer les points). L’intention d’agir entraîne une intention motrice, liée à une organisation motrice et spatiale : l’appui, la vitesse, la position des mains… Vient la planification du geste : les actions vont-elles être simultanées ? Successives ? Il y a aussi des actions périphériques : aller chercher un compas dans le placard de la classe, associer les parties du compas entre elles, régler la hauteur du crayon… Les connaissances en jeu sont manipulatoires (coordonner, ajuster), organisationnelles (planifier les actions en contexte), spatiales.

Ensuite, on passe à l’exécution des actions, avec la mise en route des organes sensoriels et moteurs pour la réalisation. Dans le cas d’un trouble moteur, on a une impossibilité de réaliser les mouvements. Dans la dyspraxie, le handicap est cognitif et c’est comme si l’enfant était tout le temps en phase d’apprentissage, malgré la répétition et l’entraînement. Le geste sera toujours difficile, ce qui fait que plus on avance dans la scolarité plus c’est délicat car on attend que les gestes aient été automatisés, et ils ne le sont pas. La dyspraxie étant un handicap invisible, on risque très souvent d’oublier qu’on met l’élève en double tâche facilement.

Alors, on fait quoi ?

La proposition d’Edith est de sacrifier le développement de l’autonomie matérielle en classe pour développer l’intention d’agir, pusique c’est ce qui nous intéresse dans l’enseignement de la géométrie : par un travail en dyade (avec un camarade, un enseignant, un AESH, on permet d’éprouver l’action par des gestes et des observations, et bénéficier d’une rétroaction. On développe l’autonomie intellectuelle de l’élève, tout en développant les apprentissages des deux élèves qui travaillent ensemble, l’élève dyspraxique et l’autre. Les deux élèves doivent apprendre la même chose, même si ce n’est pas de la même façon. Il y a donc un instructeur et un constructeur, avec la question du langage au centre.

Mais les élèves n’ont pas forcément déjà le langage géométrique. Alors Edith propose de pouvoir passer par le langage technique : quel instrument, quel positionnement, quel tracé ? Pour communiquer on utilise les mots, mais aussi les gestes : des gestes de parcours pour préciser de quelle droite on parle, par exemple, des gestes sur les instruments pour mettre en relation (le pointage du sommet de l’angle droit de l’équerre par exemple). Des gestes mimétiques (le compas qui tourne, les droites qui se coupent). Le constructeur réalise les instructions demandées au fur et à mesure, en faisant le moins probable. Pour faire ça beaucoup en classe, en classe entière et en dyade, dans mes classes, je peux vous dire que c’est absolument top. Ca se travaille, mais ça vient très vite, y compris avec des petits. Il faut juste cadrer la « mauvaise foi ». On interdit les indications spatiales (en haut, au-dessous, etc.).

Quand on aura avancé, on pourra permuter les rôles, et l’élève dyspraxique mime les tracés, place l’équerre en gros, montre où on lui demande de tracer, mais au moins cela permet qu’il soit aussi récepteur du langage. Ou avec un avatar numérique, dans un simulateur d’interactions humaines, ce qu’Edith m’a aussi permis d’expérimenter avec mes élèves.

C’était une très belle conférence, concrète et étayée sur le plan théorique. Je m’aperçois que j’ai eu une chance incroyable qu’Edith vienne tester ces outils et ces dispositifs dans ma classe, il y a déjà des années, ce qui m’a permis d’assimiler ces apports dans mes pratiques.

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