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Séminaire 2021 de l’APMEP : l’enseignement des mathématiques et ses enjeux

Caroline Ehrhardt et Renaud d’Enfert nous ont proposé la première conférence de la journée : l’enseignement des mathématiques et ses enjeux de 1800 à 1960 : les problèmes qui se posent aujourd’hui sont liés à ceux qui se posaient hier ou avant-hier.

Les contextes d’exercice du métier d’enseignant de mathématiques

Qu’est-ce qu’être enseignant de mathématiques ? Les contextes d’exercice du métier sont très variés, encore aujourd’hui, au niveau des lieux, des publics mais aussi des enseignants eux-mêmes, des statuts, etc.

Au XIXe siècle, il y a deux puis trois grandes filières d’enseignement qui structurent son offre : l’enseignement secondaire (avec les lycées et les collèges, qui s’adresse aux classes sociales aisées et doit former l’élite, l’enseignement primaire (qui ne conduit pas au baccalauréat et se distingue par un caractère utilitaire des études. C’est l’école du peuple, qui vise à faire entrer rapidement dans la vie active) et, plus tardivement, l’enseignement technique (des écoles pratiques de commerce et d’industrie, etc., et la filière des lycées professionnels qui va venir se greffer plus tard).

La structure est donc très éclatée et très différenciée en fonction des finalités des enseignement et du public qui fréquence ces différents types d’établissements : l’enseignement féminin est encore différent de l’enseignement masculin. L’enseignement des jeunes filles ne conduit pas au baccalauréat avant le milieu des années 20, par exemple.

Il existe aussi toute une pléiade d’autres institutions: des pensions et des institutions privées, qui peuvent remplacer ou compléter les enseignements en lycée. Il y a aussi des cours municipaux, des cours d’adultes qui dispensent un enseignement de mathématiques pour des jeunes gens ou des adultes qui ont terminé l’école. C’est un volet dont l’importance est peut-être sous-estimée par rapport au système scolaire officiel.

A tous ces lieux d’enseignement correspondent aussi des enseignants aux profils très diversifiés : il y a les instituteurs, les professeurs de mathématiques, des géomètres, des arpenteurs, etc. Il y a une très grande porosité entre différentes fonctions. Mais il existe aussi une très forte hiérarchie entre les différentes personnes qui enseignent, entre professeur en titre et chargé de cours. Les statuts ne sont pas les mêmes, en particulier quant à la pérennité des postes. les répétiteurs sont chargés de faire travailler les élèves, ce qui inclut l’enseignement de mathématiques, et parfois remplacent les professeurs dans des classes comme la 7e ou la 8e. Souvent ce sont des fonctions de début de carrière, mais pas toujours.

Les pensions privées jouaient un rôle essentiel de complément des lycées., et donc les personnes qui y enseignaient aussi. Et les “professeurs ambulants” (dans des cours privés par exemple, ou dans le cadre du préceptorat) existaient encore, mais cette carrière tendait à disparaître dans le courant du XIXe siècle.

Le professeur de maths n’est pas forcément alors quelqu’un qui est spécialisé en mathématiques : dans les petites classes, les professeurs de latin enseignent les mathématiques (jusqu’au début de l’actuel collège). Jusqu’à la monarchie de juillet, l’enseignement est construit sur la dualité humanités et sciences, sans qu’il y ait de section dédiée aux mathématiques. La création de l’agrégation de mathématiques en 1841 marque le début de la spécialisation du métier, mais ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’elle se consolide. Dans le contexte de l’élargissement du métier, le statut de PEGC est créé, avec des associations maths-arts plastiques, maths-éducation musicale, maths-EPS. Plus récemment, le CAPLP est bivalent en maths-SPC (mais avec la même grille salariale, ce qui n’était pas le cas pour les PEGC).

Les évolutions, débats et grandes questions périodiques

Les mathématiques sont-elles un enseignement de spécialité, ou est-ce un enseignement qui fait partie de la culture commune et donc concerne tout le monde ? Voilà une question qui résonne…

Au départ, l’enseignement secondaire est dominé par le grec et le latin, ce qui est plus socialement reconnu. A chaque fois qu’on va essayer de modifier la place des mathématiques, cela va soulever des débats sur l’utilité des maths.

Dans l’ancien régime, on étudie quasiment exclusivement les humanités classiques car ce sont les seules disciplines considérées comme tant capable de former l’esprit. L’enseignement des maths est un enseignement de spécialiste.

Au XIXe siècle, les maths sont un enseignement de spécialité, dispensé à très haute dose en classes prépa, mais à dose homéopathique ailleurs. En classes prépa, c’est un enseignement théorique et abstrait, dont on commence à dire qu’il va apprendre à raisonner, qu’il va permettre de mesurer l’intelligence de candidats aux concours. Pour les élèves qui ne sont pas en classe prépa, on initie à l’arithmétique dans les petites classes, puis l’enseignement des maths s’interrompt dans la scolarité et un débat porte sur le moment où on recommence les maths : en 1820, il faut attendre les classes de philosophie pour qu’il reprenne.

Il n’est pas du tout reconnu qu’il faudrait avoir une culture mathématique après le secondaire ; elle ne fait pas partie de la culture générale. On ne prévoit pas d’enseignement des mathématiques pour les non spécialistes. L’enseignement des mathématiques ne pourrait pas commencer trop tôt, parce que l’esprit des élèves ne serait pas mûr pour cela : c’est un argument résistant, qui permet de déplacer l’enseignement des maths en première ou en terminale. Cela montre qu’on considère que les maths ne forment pas l’esprit, mais peuvent être enseignées seulement quand l’esprit des élèves est “déjà formé”.

La réforme de 1925 est celle de l’égalité scientifique.

Globalement, le principe que les maths aient une place dans les emplois du temps n’est plus remis en cause après-guerre.

Les mathématiques, au XIXe siècle, jouent un rôle de discipline de sélection, notamment avec le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique, mais aussi les écoles de gouvernement et plus tard des écoles d’ingénieurs. Pour recevoir des élèves dans ces écoles, on va valoriser le mérite plutôt que la fortune et la naissance, et la priorité est donnée au sein du concours pour évaluer les capacités intellectuelles. Les examinateurs se voyaient comme de “explorateurs de l’intelligence”. Mais cela concerne seulement ceux qui veulent faire des sciences. Pour accéder à de hautes fonctions sociales, il faut avant tout connaitre le et avoir fait ses humanités.

A partir de 1950, les mathématiques deviennent une discipline scolaire centrale : on a besoin de scientifiques, de techniciens pour reconstruire et moderniser le pays. Les maths deviennent partie prenante d’un humanisme moderne. Elles paraissent indispensables à la formation des futurs citoyens et sont érigées comme un langage universel et commun à l’ensemble des sciences. Elles sont de plus en plus demandées par les élites sociales et promues comme discipline de sélection, car cette sélection apparaît plus démocratique que le latin et les autres disciplines littéraires : les maths ont une image plus neutre.

Cela aboutit à une réforme des études secondaires, avec en 1965 la création par Fouchet des sections A, B, C, D et E. La hiérarchie disciplinaire au sein du curriculum est reconfigurée, et la section C devient la filière d’excellence des études secondaires. La tyrannie des maths est alors dénoncée. Beaucoup de ministres successifs vont s’attacher à détruire cette dictature des maths, abolir cette hégémonie.

Pour détruire la tyrannie des maths, une solution semble simple : réduire le volume de l’enseignement des maths. La présidente de l’APMEP écrit, en colère, en 1980 :

Et les inégalités de genre ? Aujourd’hui, la réforme Blanquer aboutit à des inégalités sociales sur les maths, mais cette fois par “choix”. Les maths sont-elles toujours une discipline de sélection ? Quels rapports de force se jouent entre les disciplines ? C’est tout le système global qui est percuté par ce genre de questions.

Historiquement, l’enseignement des mathématiques était moins développé pour les filles que pour les garçons jusqu’à la moitié du XXe siècle. Par exemple, les filles ont longtemps reçu très peu de géométrie, et pas d’algèbre : les parties des maths “consacrées au raisonnement et à l’abstraction” ne leur est pas consacrées. Elles reçoivent des contenus “pratiques”. Bon, accrochez-vous :

On voit de nouveau qu’il n’est pas acquis qu’il faut une culture commune, à cette époque, puisqu’elle est genrée. Monsieur Legouvé, au départ complètement opposé à une agrégation féminine, évolue radicalement :

Mais ce n’est pas le cas de tout le monde :

Rappelez-moi de réfléchir à si je laisse l’affiche de Lebesgue dans ma classe, tiens…

Mais pourquoi la place des femmes évolue-t-elle aussi peu dans les maths ? La question est d’actualité. Il existe une forme de stéréotype assez marquée, et le fait qu’il faut des preuves en neurosciences pour montrer que les maths sont aussi pour les filles le montrent. Ces préjugés sont robustes chez les élèves, chez les parents. La spé maths est toujours aujourd’hui choisie par beaucoup plus de garçons que de filles.

Les contenus

Quelles mathématiques enseigner à l’école élémentaire ? C’est une question récurrente depuis le XIXe siècle. Longtemps on n’a parlé d’arithmétique ou de calcul, mais pas de mathématiques. L’idée que la première chose à apprendre c’est de compter est forte. Le périmètre des maths enseignées s’élargit sous la Troisième République. Sous Jules Ferry, on enseigne l’arithmétique, mais aussi de la géométrie (avec une approche concrète et intuitive, mais aussi une initiation au raisonnement) et de l’algèbre (pour les grands élèves, de 11-13 ans), où on résout des problèmes.

A partir des années 50, le mot d’ordre est que l’école élémentaire, qui va se réduite à la tranche CP-CM2, doit préparer ses élèves à rentrer en sixième. Il faut donc se centrer sur les connaissances et les mécanismes de base. L’apprentissage par coeur est valorisé.

Il y a beaucoup de discussions à cette époque, autour de la question de la continuité des apprentissages des mathématiques, pour que les élèves fassent “de vraies mathématiques”, et sur celle des maths comme savoir de base ou comme accès à la pensée mathématique. Les programmes de 1970 bousculent tout et marquent les esprits pour des dizaines d’années :

Trois blocs constituent des passages obligés pour qui apprend les maths, depuis très longtemps : la géométrie, l’algèbre et l’analyse. Pourtant, ce qu’on apprend peut être très variable, dans tous les domaines :

La manière dont on calcule a aussi énormément évolué : les outils que l’on utilise conditionne les mathématiques que l’on peut faire.

Enfin, il y a la question de l’innovation pédagogique en mathématiques. Initialement, l’apprentissage des maths se fait comme celui du latin : on apprend par coeur, on résout les exercices à la maison, ils sont corrigés au tableau, etc. L’idée que pour apprendre et comprendre les mathématiques il faut faire autre chose que cela n’apparaît qu’au XXe siècle. Une des questions qui se pose de façon continue, c’est le temps que prend d’enseigner des démarches et pas seulement des contenus. Une autre est celle des exercices : pour pouvoir innover, on a aussi besoin de maîtriser des techniques, et la pratique du calcul est typiquement le genre d’enjeu qui revient périodiquement.

Voilà une conférence aussi intéressante que dense ! Il va falloir que je me relise pour fixer tout cela.

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