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Intermède : la petite Claire, future prof de maths

Cette boîte à maths modernes a fait remonter un souvenir. Je suis en sixième, et en mathématiques j’ai madame Grégoire. Je l’ignore encore, mais je l’aurai pendant quatre ans. Madame Grégoire était d’une incroyable rigueur. Pas la prof-qui-materne, même si je ne souviens pas non plus qu’elle fût spécialement dure. M’enfin, elle n’était pas… souple, disons. Ça ne mouftait pas, pendant ses cours, croyez-moi. Et elle voulait de la rigueur.

Ainsi, la petite Claire (petite, façon de parler, j’étais très grande, en fait) arrive en sixième, avec pour ambition d’enseigner. Ça, je m’en souviens : du premier jour de maternelle, j’ai deux images : une petite fille en imperméable rouge, assise en face de moi, que je trouvais fascinante, et les maîtresses, qui ont été mes héroïnes direct, comme ça, bam, coup de foudre professionnel. Alors tu feras quoi quand tu seras grande : maîtresse d’école maternelle. À l’école élémentaire, j’avais décidé d’être maîtresse d’école élémentaire. Et arrivée au collège, il ne m’a pas fallu bien longtemps pour décider d’être prof de collège. De n’importe quoi, pourvu que ça puisse s’enseigner. Et au lycée, idem.

Donc là arrive madame Grégoire. Je me souviens de notre premier échange, tout au début de l’année scolaire. J’étais très, très timide. Mais vraiment violemment. Et madame Grégoire écrit au tableau :

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Boum. Là, je me dis trois choses :

  1. Ouahhhhh, trop chouette les maths, il n’y a pas d’implicite ! (enfin, à l’époque j’imagine que je savais pas ce que signifie implicite. Mais c’est l’idée : ne pas avoir à deviner des choses indevinables qu’on est censé deviner quand même. Démontrer, j’aime. Deviner, non.)
  2. Oulala, il y en a pas mal autour qui n’ont pas l’air de comprendre. Ça doit être cool d’être prof de maths et de faire comprendre, parce qu’en fait ce n’est pas si compliqué. Ils croient qu’ils ne peuvent pas comprendre, mais évidemment qu’ils peuvent.
  3. Pourquoi madame Grégoire a-t-elle mis des virgules une fois, des points-virgules une autre fois ???

Qu’est-ce qui m’a poussée, ce jour-là, à poser une question en classe ? Je pense que c’était un conflit intérieur violent : on m’explique qu’il existe un signe pour l’appartenance et un autre pour l’inclusion, et on note deux ensembles qui contiennent des objets de même nature avec des notations différentes. Il faudrait savoir : suis-je en train de découvrir la rigueur et la beauté d’un langage, ou en fait est-ce du grand n’importe quoi ?

Alors je lève la main. Je vous jure, je m’en souviens. C’était il y a 36 ans (36 ans!!!), et je m’en souviens très clairement tellement j’avais la trouille. Madame Grégoire me donne la parole, je demande : “pourquoi là on met des virgules, et là des point-virgule ?”. Madame Grégoire me fixe, je transpire, elle me demande comment je m’appelle, je réponds dans un état proche du liquide, et elle me dit : ” Très bonne remarque. En fait on devrait mettre des virgules car pour séparer des éléments de même nature on met des virgules, mais j’ai peur que vous confondiez avec les décimaux et du coup, je mélange les deux et ce n’est pas bien. On va mettre des points-virgules partout et tu vas retenir que ça devrait être des virgules.”

Là, j’ai compris un truc de fou : faire des maths et enseigner les maths, ce n’est pas pareil, et madame Grégoire vient de me le révéler. Je me sentais digne du secret de l’univers qu’elle venait de me confier.

Accessoirement, j’avais posé une question qui en valait la peine, à mes yeux, et j’étais drôlement soulagée.

Mon mémoire de stage pour le CAPES portait sur “les mots en maths”, j’ai enseigné les maths à des malentendants, en DNL en allemand, et hier j’ai terminé le document “Verbaliser en mathématiques” pour la mallette, avec Nourdin.

Comme quoi, il y a des constantes.

Bon, je retourne à ma boîte de Problèmes par l’image.

Avec une pensée reconnaissante pour madame Grégoire.

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