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“Nos élèves sont plus importants que notre contenu”

Sur Pedago21, Marius Bourgeoys propose un article intitulé “Changement de paradigme : 10 changements de focus à considérer pour développer des humains en perpétuel devenir”. Bon, c’est vrai, le titre fait un peu peur. Mais c’est une lecture intéressante et agréable, qui au final m’a amenée à réfléchir de façon très personnelle, naturellement.

Les changements de paradigme sont les suivants :

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Pour ma part, j’aurais écrit “école de demain” à la place d'”école d’aujourd’hui”. Cela me paraît un peu optimiste, l'”école d’aujourd’hui”. L’auteur décortique ensuite un peu chaque point. Extraits (qui, évidemment, dénaturent la richesse du propos, à aller lire dans son intégralité) :

À REMETTRE / À PUBLIER

Il n’y a rien de mal avec le fait de remettre un travail à son enseignant. Mais le monde d’aujourd’hui nous invite à être des producteurs de contenu pour contribuer au monde. Ça s’insère où dans notre planification annuelle ça? Imaginez ce qui se produirait si tous les élèves étaient accompagnés dans une démarche qui les amène à publier.

Voilà qui m’a laissée perplexe : avons-nous tous envie de rendre nos pensées, nos travaux (imposés, le plus souvent, sur le plan scolaire) publics ? Et est-ce intéressant de le faire systématiquement ? Moi qui vous parle ici, combien d’articles ai-je commencés et pas terminés, car ils ne valaient pas la peine d’être partagés, voire il ne fallait pas les partager… (j’ai bien conscience aussi de publier des articles creux parfois, qui s’adressent aux copains ou à moi-même, cela dit, et ce que j’écris est donc aussi contradictoire).

LE CONTENU / LES PERSONNES

Pensez-y. Les Mathématiques, ça existe dans la vraie vie en premier, pas dans un programme. Nos élèves existent dans la vraie vie en premier, pas dans notre cours. Nos élèves sont plus importants que notre contenu.

LA PERFORMANCE ACTUELLE / LE PROGRÈS ET LE POTENTIEL

On n’allume pas un feu avec un thermomètre. On n’allume pas la flamme de l’apprentissage avec une série d’évaluations sommatives. Processus.

J’adore totalement à ces deux passages, fort bien tournés par ailleurs. Je note la métaphore du thermomètre.

LE CONTRÔLE / LA TOLÉRANCE À L’AMBIGUÏTÉ

En contexte, les élèves ne réfléchissent pas en programmes et en modules. Ils réfléchissent avec leurs connaissances actuelles, leurs expériences personnelles, leurs émotions du moment et beaucoup en fonction des interactions sociales du moment. Ça demande de la tolérance à l’ambiguïté. Je crois qu’il faut tomber en amour avec notre pourquoi (intention pédagogique), pas notre comment (itinéraire ou façon d’y arriver).

Oui, mais. Quand on a défini notre pourquoi, on élabore un comment qui va permettre d’y parvenir, ou au moins permettre de tenter d’y parvenir. Et on peut aussi tomber en amour de son comment, du coup, tant on y a bûché, tant on a inventé, tant on a pensé à nos élèves pour le construire. En revanche, c’est un comment souvent assez éphémère, car il est adapté à nos élèves à ce moment-là. Alors que le pourquoi est plus pérenne.

DONNER DES DIRECTIVES / APPRENDRE À RÉFLÉCHIR ET AUTONOMISER

Pour développer des humains en perpétuel devenir, il faut leur enseigner à se fixer des objectifs personnels, à passer à l’action et à déterminer eux-mêmes leurs prochaines étapes en fonction de leurs progrès. (…) Un élève ne peut pas s’autoréguler si tout ce qu’on lui demande, c’est de suivre des directives et d’obéir.

En effet, et c’est un magnifique paradoxe de notre métier : pour enseigner la liberté de penser et d’être aux élèves, il est nécessaire qu’ils acceptent de suivre des règles, et donc d’obéir. Il faut donc des directives auxquelles ils obéissent, pour devenir autonomes et libres, mais dans la société. Pfiou, c’est compliqué, ça. Je suppose que le mot clef est : confiance. Si les enfants savent que nous oeuvrons pour eux, ils nous font confiance et le respect des règles est davantage fondé sur le respect que sur un sentiment d’obligation et sur le règlement intérieur. Pourtant, parfois, je me trompe dans ma façon de diriger le groupe ou de répondre à une situation problématique. Mais les enfants continuent de me faire confiance, je crois. C’est fort, ça. Peut-être est-ce que la confiance l’emporte, qu’ils admettent mon erreur, que je reconnais volontiers devant eux par ailleurs ? C’est si compliqué, la relation qui nous unit.

ÊTRE ATTENTIF ET ÉCOUTER / AVOIR UNE VOIX, AGENTIVITÉ

Être attentif et écouter des directives, ça a sa place en éducation. Bien sûr. Mais ce n’est pas la finalité. Ça s’insère dans un processus qui amène l’élève à trouver sa voix et à l’exprimer positivement pour contribuer au monde autour de lui.

Ok. Là encore le maître-mot est confiance. Pour trouver sa voix, l’enfant doit savoir qu’il sera accueilli avec bienveillance, sans qu’on lui serve la soupe. L’erreur doit être possible, naturelle. Et pour qu’elle le soit chez les élèves, elle doit l’être chez nous aussi.

ÊTRE LIMITÉ PAR LES CONTRAINTES / ÊTRE INSPIRÉ PAR LES POSSIBILITÉS

Relever un défi ou contourner une contrainte est le prix à payer pour avoir accès à chacune des possibilités qui s’offrent à nous. Les défis et les contraintes sont nombreux en éducation.

Voilà bien mon actualité. Ces dernières années, parfois je fatigue devant les défis, les contraintes, les maltraitances. Et en même temps, jamais je n’ai été aussi bien armée et décidée pour y faire face. Pour autant, je ne suis pas à l’abri de jeter l’éponge, du jour au lendemain. C’est ainsi que je fonctionne : je tiens bon, mais le jour où c’est fini, je tourne le dos et je passe à autre chose. Je sens bien que je m’approche d’une frontière. Soit je décide de la franchir, soit j’arrête.

LE MONDE AUTOUR DE NOUS / LE MONDE QUE NOUS PORTONS EN NOUS

La majorité de nos programmes nous invitent à comprendre le monde autour de nous. Rien de mal avec ça. Le monde autour de nous, il était là avant notre naissance et il sera encore là après notre décès. Mais il y a un autre monde, le monde qui existe seulement parce que nous sommes là. Il importe de prendre le temps d’apprendre à connaître le monde que nous portons en nous.

Je ne pense pas que ce soit à l’école de faire ça. Je pense que c’est à école de faire comprendre que chacun peut explorer ce monde. Mais là, c’est de l’intime. Nos contenus permettent à chacun de progresser dans sa faculté de comprendre, de réfléchir, d’imaginer, d’enquêter, de structurer. Mais qui nous sommes, c’est à mon avis à chacun d’entre nous de le découvrir, à condition d’en avoir envie, ou besoin.

LE MODÈLE PRESCRIT / LA CRÉATIVITÉ ET L’INTUITION

Innover, c’est aussi simple que d’arrêter de faire quelque chose qui n’a plus sa place, si on part de l’intention pédagogique et de la finalité. C’est un peu ça, le changement de paradigme. On commence par arrêter à faire des choses qui n’ont plus leur place, qui ne sont plus cohérentes avec nos finalités. Et ça fait de la place pour de nouvelles pratiques et de l’enthousiasme pédagogique.

Je l’écris régulièrement ici, je ne crois guère à l’existence de l’innovation, hors nouvelles technologies. Je ne suis pas sûre que la clef réside dans le fait d’inventer de nouvelles pratiques. Mais de changer régulièrement de modus operandi, oui, rien que pour ne pas s’endormir. Et j’adhère tout à fait à l’idée de faire de la place à l’enthousiasme pédagogique, sans lequel je ne pourrais pas extraire mon énergie.

L’ISOLEMENT / LE RÉSEAU

En 2019, l’isolement est un choix qu’on fait.

C’est vrai. Et c’est bien d’avoir le choix.

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