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Deux, cinq, trois !

En petite section, il y a quelques jours, je suis assise avec les enfants pour un atelier numération : il est question des collections jusqu’à 3. Chaque enfant dispose d’un petit panier, d’une carte indiquant une constellation type dé ou une main montrant un, deux ou trois doigts. Le but est d’aller chercher des objets dans la pièce d’à côté, avec son panier au fond duquel on laisse la petite carte, et de rapporter autant d’objets qu’indiqué sur la carte. Ensuite, on vérifie.

Elliott revient tout fier, et me montre qu’il a ramené des pinceaux. Il y a trois pinceaux dans son panier, et je sais qu’il avait trois points sur sa carte. Il semble sûr de lui. Je lui demande de me montrer sa carte, et de me dire combien il y a de points. Il me dit : “Trois. Il y a trois points : deux, cinq, trois ! Ca fait trois !”. Je trouve ça intéressant, forcément; mais avant de me lancer dans une remédiation, je veux mieux comprendre. Je lui demande de compter les pinceaux : “Deux, quatre, trois ! Ca fait trois aussi, j’ai booooooon !” Et il s’apprête à prendre une autre carte.

Attends attends attends, Elliott. Je lui montre trois doigts de ma main : le pouce, l’index et le majeur de la même main. Tu peux me dire combien je te montre de doigts ? Il pose un de ses doigts successivement sur chacun des miens. “Un, deux, trois. Tu montres trois doigts”.

Attends encore un peu. Je lui montre le pouce et l’index d’une main et l’index de l’autre main. Et là, je te montre combien de doigts ? “Un, deux, un. Tu me montres un !” Je réessaie avec un pinceau et deux voitures : “Un, un, deux ! Ca fait deux !”

Ensuite, je lui ai demandé de me dire sa comptine numérique. Il a entonné gaiement un, deux, trois … jusqu’à 16. Plus loin, c’est devenu très chaotique et je l’ai vite arrêté. Elliott connaît donc sa comptine numérique, au moins jusqu’à 16. Il est capable de la réciter sans aucun support, comme une chanson.

Alors d’abord, quelles conjectures ?

  • Elliott a beau connaître sa comptine numérique jusqu’à 16, ce qui va au-delà des exigibles de petite section, il n’a pas compris le nombre. Cela montre encore une fois que maîtriser l’usage ordinal du nombre ne suffit pas. Il faut que l’enfant comprenne que la notion de quantité n’est pas la caractéristique d’un objet, mais d’une collection d’objets.
  • Elliott a retenu un-deux-trois sur les doigts, s’ils sont dans une configuration typique. Il ne fait encore que réciter, en associant un visuel à la comptine.
  • Elliott sait que lorsqu’on lui demande de compter, il doit répéter le dernier mot-nombre énoncé. Il est aussi capable de mémoriser. De ce fait, si l’enseignant lui demande combien il a ramené objets, il répond correctement “un”, “deux” ou “trois”. Mais si on ne lui demande pas comment il en est arrivé là, on ne sera pas en mesure de détecter qu’il n’a pas compris le nombre.
  • Elliott n’a pas compris que le nombre caractérise aussi des collections d’objets différents : quand je répartis les doigts à compter sur deux mains ou si je propose une collection d’objets de natures différentes, il réinitialise son compteur en changeant de nature des objets ou de disposition de ces objets. Or on considère que le nombre en tant qu’outil de mesure de la quantité est stabilisé quand l’enfant peut l’associer à une collection, quelle qu’en soit la nature, la taille des éléments et l’espace occupé.
  • Peut-être en fait Elliott utilise-t-il le subitizing pour identifier la quantité : à leur arrivée à l’école maternelle, les enfants discriminent les petites quantités, un, deux et trois. Le subitizing donne la possibilité de les traiter en un seul focus de l’attention. Pour autant, Elliott ne “voit” pas 1, 2, 3 pour ce qu’ils sont, comme des nombres. Il ne conceptualise pas non plus ces nombres. Mais il a dû associer à sa perception des réflexes qui lui permettent d’énoncer le bon mot-nombre. Et ensuite, il doit chercher à justifier comme il pense que l’enseignant l’attend : il suit un rythme mental de comptine, en y mettant ce qui lui vient, mais en terminant par le bon mot-nombre, qu’il a mémorisé.

Et alors, on fait quoi ?

C’est là que c’est compliqué. J’étais là en observation, j’avais tout le temps que je voulais. Mais pour l’enseignant, qui anime son atelier en même temps qu’il doit s’assurer que tous les élèves sont en activité de façon adaptée, c’est bien difficile.

Pour ma part, je suis repartie de “un”. Un doigt, le pouce. Il est tout seul, il y a un doigt levé. Et puis on change de doigt. Et puis on passe à des objets, à chaque fois on exemplaire unique. Et finalement, j’ai posé une autre petite voiture à côté de la première, et nous avons réfléchi tous les deux : il y a là une voiture, ça fait un, et puis là il y en a une autre, ça fait un et encore un, et alors ça, ça fait deux. D’abord, Elliott a recommencé à me dire “trois-deux”, ou même “six-deux”. Pour le convaincre, j’ai dû lui faire faire une correspondance physique de ses deux doigts, qui s’appelaient donc un et deux, avec les deux objets choisis. Là, il a été perplexe et il a bien voulu changer de point de vue. Nous nous sommes beaucoup entraînés, nous avons composé, décomposé, et Elliott donnait l’impression d’avoir compris. J’aurais bien aimé avoir emmené mon J’apprends les maths… Et puis bon, c’était une fois, de façon isolée, et j’aurais bien aimé demander le soir, le lendemain, la semaine suivante à Elliott, jusqu’à être sûre d’avoir une bonne construction mentale de deux, et ensuite amener trois. Quand je suis partie, Elliott venait de mettre sa petite veste jaune et montrait à un de ses camarades ses oreilles : un, deux. Et ensuite ses chaussures. Et là, il a fait fort : il lui a dit “un, deux” en désignant la gauche puis la droite, et ensuite “ou alors un, deux” en désignant la droite puis la gauche. Pas mal, Elliot.

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