En quatrième ce matin, je demande la différence pour les élèves entre statistiques et probabilités. Globalement, ce qui ressort de leurs interprétations, c’est que les probabilités prévoient, donnent une mesure des chances ou des risques d’une expérience pas encore réalisé, alors que les statistiques étudient une expérience réalisée. Apparaît aussi l’idée d’ « idéal » de la proba, contre le prosaïsme des stats. Nous développons et précisons, pour porter une trace écrite dans la leçon. Je finis par évoquer les probas comme modélisation, comme cas limite, comme ce qu’on obtiendrait en réalisant une expérience un nombre infini de fois.
Et là, paf, au fil des échanges, un élève me demande si l’infini est un nombre. Alors bon, que voulez-vous que je fasse ? J’évoque droite réelle et droite réelle achevée…
Un autre élève rebondit : mais alors madame, on peut faire des opérations sur l’infini ?
Un autre rétorque : bah oui, évidemment par exemple l’infini divisé par l’infini ça fait 1.
Ai-je essayé de résister ? Sans doute. Peut-être. Je ne sais plus. Me suis-je retrouvée au tableau en expliquant avec passion les limites à des élèves de quatrième, en combinant allègrement concepts de lycée et vulgarisation pour donner à mes élèves une chance de me suivre au moins un peu ? Oui !
Deux heures plus tard, à la récré, des élèves sont revenus m’en parler. Quelques-uns avaient poursuivi leur réflexion en posant leurs conjectures sur un joli brouillon. Ils avaient bigrement bien raisonné. Un autre m’a dit : « j’ai cru comprendre, mais en fait j’ai rien compris, madame. Je ne vous ai pas suivi , finalement. Tout ce que j’ai compris c’est que les calculs sur l’infini c’est compliqué parce que ça dépend comment on va vers l’infini. Et du coup on ne peut pas dire comme ça paf, ça va faire ça ou ça. »
Pas si mal pour un élève de quatrième qui n’a rien suivi…
Voilà une question quasi métaphysique d’A., élève de 4e, lors de la séance sur la règle des signes. Nous avions bien avancé déjà, et nous discutions des raisons pour lesquelles je n’ai pas recours en classe à la comptine « les amis de mes ennemis etc. » J’avais expliqué aux élèves que je comprends qu’on leur ai transmise, dans leur famille, parce que cela va vite et donne l’impression de transmettre un savoir, mais en fait non. C’est un moyen mnémotechnique, et c’est tout. Cela ne signifie pas qu’il est interdit ou mal d’y avoir recours (n’est-ce pas, Elise ? 😉 ) ; cela signifie que moi, en tant qu’enseignante, je ne vais pas m’y référer, parce que je veux faire comprendre. Ensuite, une fois qu’on a compris, évidemment que chacun d’entre nous construit ses automatismes. C’est normal et cela fait gagner de l’énergie. Et puisqu’on a compris pourquoi la règle est ainsi, on peut faire des raccourcis sans dégâts. Plus important, lorsqu’on se trouvera devant un cas plus complexe, on pourra revenir au sens pour surmonter l’obstacle, et transférer dans des contextes différents.
J’avais donc argumenté pour éliminer l’usage venant de moi de cette proverbiale ritournelle. C’était le moment crucial, celui où j’espère que j’ai convaincu ou au moins intrigué les élèves, et qu’ils vont me faire suffisamment confiance pour abandonner la chansonnette un moment et accepter d’écouter ma démonstration, pleine d’inconnues et de distributivité, ce qui naturellement peut passer pour moins attractif (enfin je dis ça parce que je l’observe, évidemment qu’une démonstration c’est attractif, mais bon). J’ai senti qu’ils n’étaient pas tout à fait mûrs, que j’allais faire splotch. Alors j’ai décidé d’être explicite :
Vous êtes en quatrième. Aujourd’hui vous découvrez la règle des signes. On est dans l’abstraction, et c’est extra. Nous avons besoin de réfléchir aussi à des choses abstraites. En soi, la règle des signes ou le théorème de Pythagore ou ce que vous voulez, ce n’est pas l’essentiel : si vous en avez besoin un jour dans votre vie ou votre métier, vous pourrez l’apprendre ou le redécouvrir, vous êtes assez futés pour ça. Le contenu n’est pas le plus important. (T., arrête de démonter tes stylos et concentre-toi, écoute-moi) Ce qui est important, c’est que j’arrive à enrichir vos outils de pensée : que vous sachiez argumenter, trouver des contre-exemples lorsqu’il en existe, articuler votre raisonnement, distinguer une preuve d’une affirmation, bref ne pas dépendre des autres pour penser, ne pas être convaincu par celui qui parle le plus fort ou celle qui parle en dernier, mais savoir ce que vous pensez et pourquoi vous le pensez, et pouvoir le transmettre à autrui.
Depuis l’année dernière, on travaille ensemble les nombres relatifs. C’est un bouleversement, en fait, pour vous : jusqu’ici, quand on vous apprenait la numération et à calculer, on pouvait représenter ça avec des objets : je vous sors des pommes, des cubes, des bidules et des machins, et on voit comment les opérations fonctionnent. Mais avec les nombres négatifs, ce n’est pas possible : je ne peux pas vous montrer -7 pommes. Parce que comme on a dit tout à l’heure, le « – » du -7 et le moins de « je soustrais 7 », ce n’est pas exactement la même chose, même si c’est lié. Je peux prendre 9 pommes et en enlever 7 et vous dire : tu vois, je « fais -7 pommes ». Mais là je fais une soustraction sur un ensemble qui me le permet parce que j’ai assez de pommes pour le faire. (W., si tu continue à faire l’acrobate je te prive de tabouret. C’est pour t’aider à te concentrer, pas pour faire le clown, ce tabouret) Quand je parle de -7, ça ne peut pas être des pommes : c’est un nombre, une abstraction. Je peux le représenter en l’écrivant, je peux parler de température (c’est juste une notation en fait, comme sur la droite graduée), je peux vous parler de découvert à la banque, mais pas concrètement avec des objets.
Et je veux, moi, vous faire accéder à cette abstraction-là. C’est pour ça que je vais vous démontrer la règle des signes, et pas vous équiper de formules magiques.
Alors là, il m’a semblé que c’était bon, qu’on pouvait y aller. Et comme je l’ai relaté ici, ça s’est bien passé de mon point de vue.
Mais ensuite, A. m’a posé sa question, qui la turlupinait :
Mais madame il y a une question que je me pose, quand même. Les nombres négatifs, Comment on sait que ça existe, si on peut pas les représenter ?
C’était une si jolie question que je l’ai relayée à toute la classe. Ma réponse a été spontanée, mais sans doute hyper imparfaite :
Tout dépend de ce que tu entends par « exister » : puisqu’on les a pensé, les nombres, ils existent, non ?
Nous en avons reparlé, depuis, et les élèves ont apporté des arguments pour poursuivre le débat :
Un carré ça existe pas en vrai de vrai, tu as des trucs carrés mais c’est pas des « carrés » et pourtant on pense que les carrés ça existe ;
la liberté, je peux pas la voir mais ça existe. Ou l’amour, genre ;
Les nombres relatifs et les autres, ils existent parce que avec on peut faire des calculs pour répondre à des trucs concrets de la vie ;
non, moi je suis pas convaincu. Genre si je me dis tiens, je vais inventer une quatrième dimension et puis une cinquième et tout, elles vont exister ???
Les nombres négatifs ils existent pas en fait. C’est de les écrire qui existe. Comme quand on écrit sur les licornes.
Ce sont de bien belles réflexions, et je vais les arroser régulièrement pour qu’elles croissent joliment. Cela pourrait contribuer à répondre à la question (légitime) « mais à quoi ça sert les maths ? »
Aujourd’hui, nous avons parlé solides. Nous étions parti de ça :
Mes élèves s’échinaient à me parler du « carré en volume ». Alors nous avons avancé un peu la leçon sur les solides. Nous avons introduit du vocabulaire, et nous nous sommes entrainés. Mais ils avaient des questions : c’est quoi la différence entre un prisme et une pyramide ? Est-ce que ça c’est un cube, un pavé ou un prisme ? Comment on distingue une sphère d’une boule ? Dans un prisme à base triangulaire, est-ce que les triangle ça peut être des faces latérales et pas des bases ? C’est quoi un tore ? Alors j’ai mis de côté ce qui était prévu et sorti du matériel.
Si on considère : « Tout nombre entier positif strictement supérieur à 1 admet une décomposition unique (à l’ordre des facteurs près) en un produit de facteurs premiers », qu’en est-il des nombres premiers ? Lorsqu’on parle de produit, doit-il y avoir au moins deux facteurs (si oui, la formulation de la propriété pose donc souci pour les nombres premiers)? Peut-on considérer que, comme ils sont premiers, ils sont « leur propre décomposition »?
C’est vrai que cela pose question, à cause du pluriel : produit de facteurS premierS. Wikipedia, Gérard Villemin et d’autres encore répondent ceci :
Mais techniquement, quand j’écris 5=5, ce n’est pas un produit de facteurS premierS. Et je ne peux pas écrire 5=5×1 pour illustrer la propriété puisque 1 n’est plus premier, et que si on considérait qu’il l’est, la décomposition ne serait pas unique, comme un article d’Images des maths l’évoque :
Mais de ce fait, c’est tentant de chercher une formulation différente. Mais bon, c’est quand même une institution, ce théorème… J’ai cherché dans plusieurs manuels (dans l’ordre, le Maths Monde, le Livre scolaire, et le Sesamaths dont la définition pose souci à cause du 0 et du 1) :
Hé bien la question reste ouverte. Je suppose qu’en effet on considère qu’un nombre premier est sa propre décomposition, mais quand même c’est un peu embêtant pour les élèves, cette histoire. Ma preuve : la question vient d’un élève.
Madame, vous dites que ça fait des mètres cubes parce que on a des mètres fois des mètres fois des mètres, c’est ça ?
Oui.
Donc par exemple si je fais une aire fois une longueur ou une longueur fois une aire, c’est aussi des mètres cubes ?
Oui.
D’accord. Mais ça existe, des mètres avec un 4 en haut ?
Qu’est-ce que tu veux dire par « ça existe » ?
Jsais pas.
Ah. Ca m’aiderait de savoir, pour te répondre.
Biiiiin, est-ce qu’on peut le dire, mètre avec un 4 en haut ?
Pourquoi ne pourrait-on pas ?
Parce que nous on est en trois dimensions et ça n’existe pas, une quatrième dimension qu’on mesure avec des mètres, là dans la classe. Vous aviez parlé de si le temps c’était ou pas une dimension, mais de toute façon avec des mètres on peut pas.
Alors pourquoi hésites-tu à décider si « ça existe » ?
Parce que d’un autre côté si je peux écrire mètre carré fois mètre ça fait mètre cube, je vois pas pourquoi je pourrais pas écrire mètre carré fois mètre carré ça fait mètre quatre, parce que il y en a 4 qui sont multipliés ?
Et donc ?
Bah vous dites des fois « si on y pense c’est que ça existe », donc d’un côté ça existe, mais pas en vrai autour de nous.
En cinquième ce matin, nous avons étudié cet exercice du Myriade :
Première figure, pas de souci : tout le monde est d’accord, c’est un prisme droit, à bases hexagonales, c’est-à-dire en rose. Sauf que… Tout le monde est d’accord, mais pas parce que les élèves ont tous identifié que les faces roses sont parallèles et superposables, ou à la rigueur que ce sont les deux seules à ne pas être rectangulaires. Non : c’est parce que le solide est posé sur une de ces faces-là, et que l’autre est son couvercle. Il est bien tout présenté comme il faut. Prototypique, le prisme droit.
Et le deuxième ? La majorité des élèves sont d’accord : ce n’est pas un prisme droit. Ah. Pourquoi donc ? Parce que « le haut et le bas y sont pas parallèles ». Voilà, nous y sommes. C’est vrai, la face du dessus et la face du dessous ne sont pas parallèles. De quelle forme sont ces faces ? « Rectangulaires ». Bon ; j’aurais accepté qu’on me parle de parallélogramme, et alors en effet il ne s’agissait pas d’un prisme droit, mais d’un prisme tout court (ce sur quoi nous sommes revenus plus tard, tout de même). Mais non. J’ai donc poursuivi : et la face avant, là, elle est de quelle forme ? Première réponse : c’est un rectangle
Il est bizarre, votre rectangle… « Ah oui m’dame, c’est parce qu’il a que deux angles droits ». Voilà. C’est possible, ça, un rectangle qui n’a que deux angles droits ? « Ah non, zut. »
Bon alors donc on en est où ? « Non bah c’est pas un prisme, mais c’est pas pour la raison qu’on a dit. C’est parce qu’il a qu’une base ». Une seule base ? Ah d’accord. De quelle couleur ? De quelle forme ? « Bleue, et c’est un trapèze ». Et vous ne pensez pas qu’il pourrait y en avoir une autre, base trapézoïdale, qui constitue la face de derrière ? Réponse : « non, y a pas d’bleu ».
Alors ça ne tient pas, en raison des arêtes visibles et cachées qui montrent que cette face existe (encore que, m’ont dit des élèves, il pourrait ne pas y avoir de « paroi »…). Mais plusieurs élèves m’ont fait remarquer qu’on aurait pu ne pas colorer la face de droite pour laisser un petit bout de bleu apparaître, ce qui leur aurait permis, selon eux, de ne pas se tromper. En plus, m’ont-ils fait remarquer, le vert du dessus se voit sur le rose de gauche, alors pourquoi le bleu ne se voit-il pas du tout ? Je reste dubitative, car ce qui les a surtout gêné est que le solide n’est pas « posé » sur une base. Toutefois, un autre obstacle a résidé dans la consigne : « mais madame, pourquoi ils disent la couleur de LA base ? Ca fait nous tromper, forcément. Moi même dans le premier je me suis demandé laquelle des deux bases était LA base, du coup. » C’est vrai que c’est chargé d’implicite : on évoque LA base comme on écrit un prisme droit à base (sans s) trapézoïdale, mais dans le fond je ferais mieux d’écrire à baseS trapézoïdaleS. Je comprends que cela gêne certains élèves pour qui ce que je présente est déjà relativement complexe ou trop abstrait.
Bref, nous arrivons à passer au troisième cas. Alors là, tout le monde fonce dessus : « Haha madame, on va pas se laisser avoir ce coup-ci, c’est exactement pareil : il est pas posé sur une base, le prisme, mais c’est quand même un prisme et ses bases sont toujours bleues et c’est encore des trapèzes ».
Bien, ok. Sauf que là on a un problème de pointillés. Je ne sais pas si c’est fait exprès, mais je trouve ça un peu overkill, si oui. Cela dit, nous avons pu en parler : pourquoi des pointillés ? Quand ? Est-on sûr qu’avec seulement cette arête en pointillés ça coince ?
C’était un petit exo, mais il nous a bien occupés… Au final, je ne suis pas éblouie par sa consigne et les choix effectués : s’agit-il de parler perspective cavalière, représentation ou prismes, finalement ? Tout, ça fait beaucoup. Mais il faut bien les faire, ces choix, et aucun n’est idéal quand il s’agit de représenter un solide sur une feuille. Et les échanges avec les élèves ont été très intéressants : ils ont sans doute plus appris qu’avec un exo « planplan ». Nous avons même parlé de choix pédagogiques : qu’auraient-ils choisi, eux, pour colorer le solide n°2? En plus j’ai pu comprendre quels obstacles mineurs les bloquent parfois de façon tout à fait majeure.
J’ai une question : ma fille m’a demandé ce soir pourquoi on utilise la lettre u, préférentiellement, pour représenter les suites. Et je n’en ai aucune idée. Je n’ai rien trouvé dans mes bouquins.
Voilà. Dans mon grand oral de NSI, quand je parle des ordi à dominos, je veux expliquer que là, tu vois, on ajoute les chiffres des unités des nombres qu’on veut additionner.
Heu quoi ?
Bah oui, regarde. Sur cette partie-là du parcours, on additionne les unités, là on additionne les deuzaines, là les quatraines et tout. Donc là je veux dire qu’on additionne les chiffres des unités mais ça m’embête parce que si on additionne, il y a du calcul et donc c’est pas des chiffres, c’est des nombres ? Non ?
Ouahouuuuu, atttends ok…
…
Bah je dirais qu’on additionne les nombres d’unités ?
(grimace)
Les nombres correspondant aux chiffres des unités ?
(grimace)
Que les chiffres des unités donnent les nombres à additionner ?
(réfléchit) … Ok.
Pfiou, voilà ce que c’est d’élever ses enfants avec des principes de lexique mathématique… On se retrouve un samedi soir avec des questions d’arithmétique existentielles.
Et du coup madame, il y a des infinis plus grands que d’autres ? Parce que genre l’infini plus deux, c’est plus grand que l’infini ? Moi j’crois pas, j’crois c’est pareil.
Nous avons débattu, et j’ai apporté des éléments de réponse. De fil en aiguille (mais rapidement) nous avons parlé discret et continu, infini de N et infini de R. Cela m’a trotté dans la tête : les élèves comprennent bien qu’on n’énonce pas les décimaux ou les fractions puisqu’il n’y a pas de successeur, alors qu’on peut énoncer les entiers. Cette vidéo m’a plu. Mais pour des 5e, c’est quand même ardu ; certains vont trouver ça très abscons, même si d’autres vont percuter avec gourmandise.
Rho, peut-être ça passe pour tout le monde si j’accompagne.
Un élève m’a écrit ce soir pour me remercier du cours d’aujourd’hui, parce qu’il a « pensé toute la journée à π : le cercle de 1m de diamètre je l’ai regardé et il est là mais sa circonférence c’est π avec plein de chiffres et c’est incroyable ».
C’est vrai. Un cercle de diamètre 1m a une longueur (ou une circonférence, ou un périmètre) de π. Les élèves voient souvent π comme un « nombre infini », qu’il n’est pas : son écriture décimale comprend une infinité de chiffres, mais π est fini, compris entre 3 et 4. On a l’impression que π s’écoule indéfiniment, et le cercle de π mètres de longueur est si immobile…
Il s’est aperçu qu’en prenant des unités aussi petites que possible il restait toujours une différence une blessure par laquelle s’écoulaient indéfiniment des chiffres aussi nombreux que les grains de sable de la mer