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Prout ?

C’est la récré. Une délégation d’élèves de quatrième déboulent dans ma salle, perplexes et révoltés. Il faut qu’ils me racontent un truc, visiblement.

  • Madame, madame, madame, vous avez vu que Poutine et le président chinois ils se sont rencontrés ?
  • Oui.
  • Vous savez de quoi ils ont parlé ?
  • Heu j’imagine.
  • Non mais en vrai ?
  • … Bon vas-y, de quoi ont-ils parlé ?
  • De pets !
  • De pets ! Non mais vous vous rendez compte ??? Ils dirigent le monde et ils ont parlé de pets !
  • Ils ont parlé de paix. Pas de pets, de paix. Enfin, soit-disant. Ils auraient mieux fait de parler de pets, peut-être, d’ailleurs. Ils doivent être plus experts.
  • Non mais qu’on est cons.
  • Ne sois pas si dur, allez. C’est un peu rigolo, du coup.
  • Non mais on est débiles.
  • Mais non.
  • Si. Et l’autre, à la radio, pourquoi il dit pet quand il veut dire paix, aussi ? Il a carrément dit pet.
  • Bah tu sais ça dépend où on vit en France. Nous on dit « poulé » et des tas de gens disent « poulè ». je crois même qu’on est censés dire « poulè ».
  • On est trop cons, les gars, on s’en va.
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Au programme ce samedi matin,

… correction de copies. Je déblaie toutes mes copies ce matin, je fais un rapport d’incident pour dégradation des locaux et je m’attaque aux bulletins du deuxième trimestre. Et en fin d’après-midi, ou avant si j’ai vraiment bien carburé, je réponds aux mails et aux demandes de documents que vous m’avez faites cette semaine.

En fait, j’ai hâte de corriger ces travaux, car je voudrais bien savoir où en sont mes élèves. Mais c’est parfois difficile de rester éveillé intellectuellement et motivé, sur les corrections. Alors pour me donner de l’énergie et me souvenir pourquoi je fais ce métier, le dernier dessin de N, petit bonhomme de CE1, en situation de grand handicap, m’accompagne : N a fait son Albert comme un chef, jeudi, et ensuite m’en a dessiné d’autres :

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A quoi ça sert les maths, par un élève de sixième

Après avoir été filmés, observés, interrogés, voire carrément scrutés ce matin pour une activité type inclusion universelle, avec mes élèves de sixième, nous nous sommes livrés au jeu des interviews. J’ai participé en tant qu’intervieweuse, pour que nous puissions recueillir un maximum de paroles d’élèves. Un élève m’a cueillie joliment :

A ton avis, qu’est-ce que je voulais faire, moi, au travers de cette séance ?

Baaaah, comme d’habitude madame, nous apprendre à penser.

Et boum.

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Les équations en quatrième

Avec ce que j’ai accumulé d’expérience, d’expérimentations, de ratés et de réussites depuis pratiquement 30 ans, et en adjoignant à cela le dispositif de mon collègue Gani Mohamed, avec ses pions, revisité en fonction de mes priorités (je remplace les dés par des cubes de numération, je passe à l’abstraction plus rapidement et zappant pas mal des étapes qu’il prend soin de consolider), je trouve que cette année j’ai vraiment bien enseigné les équations.

Voilà.

C’était mon moment d’autosatisfaction.

Ce qui est core plus chouette, c’est que ce moment n’aurait pas existé sans Gani, parce que c’est son dispositif, nos heures de co-enseignement et les discussions qui vont avec qui m’ont permis d’arriver à cela.

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Ma nuit de la lecture

Ce soir, j’ai eu le plaisir et la chance de participer à la Nuit de la lecture organisée par Regards de géomètre, sur l’invitation d’Houria Lafrance. C’était la première fois que je lisais en public des extraits du livre que j’ai écrit, publié chez Ecole vivante (Retz), Vous reprendrez bien un peu de maths, et j’ignorais comment je vivrai ce moment. Finalement, je n’étais pas stressée, et j’ai eu grand plaisir à lire. J’ai pu parler de la joie que représente la transmission des mathématiques dans ma vie, et que représentent mes mathématiques à moi elles-mêmes. Alors une fois la lecture terminée, j’ai eu envie de continuer. Voici donc un chapitre :

Merci à Regards de géomètre, à Houria, et à tous mes anges gardiens…

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Prof et ministère : « on ne s’entend plus, on n’est d’accord sur rien, mais on reste pour les gosses »

Un article du Monde du 2 janvier 2023 se penche sur nous, les profs qui restent (enfin, jusqu’ici). Ces profs expérimentés, exclus de tout espoir de revalorisation, qu’est-ce qui les motive ? C’est une bonne question : une carrière, c’est long. Nos salaires ne sont pas brillants. Le boulot n’est pas facile et demande de s’adapter en permanence, en restant bienveillant alors même qu’on s’en prend plein la poire. On bosse beaucoup, tout en étant pris pour des fainéants. Alors quoi, quel est le carburant de ces enseignants ?

Ce qui ressort de cet article est assez beau : les enseignants interrogés avancent tendus vers un objectif : être utiles, aider des jeunes à trouver leur place, changer le monde, rester libres. Celles et ceux qui témoignent ont aussi un engagement qui les nourrit, en parallèle : ils se forment pour se renouveler, ils s’investissent dans le milieu associatif ou syndical. Sans doute cela leur permet-il aussi de rompre ou d’éviter un isolement délétère, et de rencontrer des collègues qui partagent des valeurs communes, ou au moins un projet.

Le jour où j’arrêterai de me battre pour transformer le système, je pense que j’arrêterai d’enseigner.

Camille Aymard, enseignante de SES à Paimpol

Mais tout cela pose question : enseignant, est-ce aussi juste un job ? Pour exercer durablement ce métier, faut-il être mû par un idéal, s’engager façon Saint-Bernard (ou Sainte-Bernardette) ? Parce que s’il faut avoir une vocation pour pouvoir être professeur, hé bien c’est grave et ce serait très mauvais signe pour la suite, pour l’éducation, pour l’école. Que certains d’entre nous soient animés par une énergie particulière est top pour nous, et facilite nos vie professionnelle. Mais pourquoi serait-ce nécessaire ou indispensable dans notre métier précisément ? Prof, ça reste un boulot, à la base. Et c’est trop facile, si nos « vocations » permettent une certaine maltraitance de notre employeur. Rien n’indique qu’un prof « à vocation » soit meilleur enseignant qu’un autre, d’ailleurs : chacun voit son métier comme il le veut, en principe. Ca change juste la façon dont on le vit, je pense. Mais finalement cet article m’inquiète.

La citation en titre est une parole de Lucie Bons, enseignante de français responsable d’une UPE2A-NS au sein d’un lycée professionnel.

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Longtemps, c’est passé vite.

Evidemment, il y a eu des accidents de rythme, des cahots, des ralentissements, et puis des accélérations. Mais de ma première classe en 1995 à aujourd’hui, presque trente ans de carrière se sont écoulés de façon très fluide. C’est beaucoup, trente ans. J’en suis tout surprise, quand j’y pense. Mais tout de même, pour que ces presque trente années se déroulent en galopant, il a fallu faire sourdre l’énergie avec soin, de façon appliquée, raisonnée et artisanale. Je m’en rends compte lorsque je regarde ce que j’avais réalisé pour une publication, début 2022 : à peine avais-je commencé à enseigner en tant que prof (avant, j’ai fait de l’aide aux devoirs en assoc) que j’allais voir aussi ailleurs. Je lis une évolution profonde, peut-être obligée, sur ce petit dessin : jusqu’en 2019, j’ai diversifié mes lieux d’enseignement. Tout en ne quittant jamais mes classes en établissement, je suis tenté d’apporter de belles et lumineuses mathématiques au sein de l’institution, dans le premier degré, le second degré, le lycée, le supérieur, la formation initiale et continue, au gré des si belles opportunités qui se présentaient à moi. Et puis en 2019 j’ai eu un gros chagrin de travail, une désillusion qui m’a blessée. On m’avait mise en garde, pourtant, mais j’avais besoin d’y croire, je suppose. Je suis allée le plus loin possible, et crac. Alors que faire ? Je ne me suis pas résignée, je suis revenue à temps plein dans mon établissement, sans décharge, je me suis plongée dans l’associatif et j’ai répondu oui à l’édition qui me faisait du pied depuis un moment.

L’associatif m’a vraiment régénérée. Je me sens à ma place, dans des contextes et pour des travaux que je choisis. C’est luxueux. L’édition m’a défoulée côté création et exercice d’écriture, que j’aime tant, en me laissant aussi le choix du quoi et du comment. Je ne compte arrêter ni l’un, ni l’autre, d’ailleurs.

Mais voilà, ce sont des à-côté de mon boulot, celui pour lequel je suis payée, et on dirait que le temps s’accélère. Aujourd’hui, c’est un moment clef pour moi. Cela fait quelque temps que je m’agite, que je ronchonne, que je me sens parfois dans l’inconfort. Je n’aime pas ça, ronchonner. Pire que tout : je me questionne sur mon utilité. Ah ça, c’est embêtant, pour mon fonctionnement. Et puis je ne marche qu’au naturel. Pour pouvoir avancer, il faut que mes projets me fassent briller les yeux, que les idées fusent, que je ressente le besoin de réfléchir dans des directions qui me sont inconnues. Le ministère, qui nous maltraite franchement, y est aussi pour beaucoup. Là, le moteur tousse. Il me faut de la mousse, ou du sirop.

Anne Sylvestre a raison : il faut que la mousse soit douce, et si c’est du sirop, il n’en faut pas trop. Autrement dit, je voudrais du changement, mais sans violence. Je voudrais autre chose, mais en continuant d’enseigner. Je ne suis pas du tout attirée par les métiers d’inspection, de direction. Changer sans bouleverser, évoluer sans renier.

Ma solution à moi, elle est là, juste à côté. Je n’ai qu’à tourner la tête.

Quand mon mari a entamé une reconversion de prof d’histoire-géo vers professeur des écoles, nous nous étions dit qu’il partait en avant et que j’arrivais ensuite. Il n’a pas pu aller au bout de son projet, pour des raisons pratiques : il risquait de se retrouver très loin de chez nous, et les enfants avaient besoin de nous deux. Il a repris son quotidien pro à lui, avec une belle résilience, et l’opportunité de devenir coordo Ulis est apparue plusieurs années après, comme ça, pouf. Il a foncé : il a pris en charge un dispositif, a passé le CAPPEI, a été titularisé. C’est extra, ce qu’il fait. J’admire son travail et sa façon d’être là, pour ses élèves et leur famille, à la bonne distance, avec efficacité et adaptabilité. Je crois que c’est mon tour. Il faut que j’essaie. Que peut-il se passer, au pire ? Je peux me planter. Hé bien alors j’aviserai, mais j’aurai essayé.

C’est devenu une évidence ce mois-ci. J’ai suivi trois stages ou séminaires liés aux besoins particuliers des élèves : une formation de formateurs sur l’inclusion dans mon académie, un séminaire sur les maths et l’allophonie, un stage sur l’enseignement aux élèves à spectre autistique. Trois moments pendant lesquels j’ai vraiment été happée. J’ai réfléchi, fort, longtemps, mais mue par une impulsion extrinsèque. Ce n’est pas moi qui me suis dit « tiens, je vais me prendre le chou là-dessus, ça va me faire du bien ». Ca m’a intéressée sans effort. J’ai appris, déconstruit, reconstruit, et échangé. Voilà qui a beaucoup joué, aussi : lors du stage de cette semaine, nous avons passé quatre jours ensemble, avec les collègues présents. Parmi eux, des AESH, des coordo, des enseignants spécialisés ou non, des personnes qui travaillent en établissement scolaire ou en hôpital de jour, bref une variété formidable de parcours et de fonctions, mais un groupe dans lequel je me suis sentie bien. Pourtant nous n’étions pas tous d’accord sur plein de choses. Mais nous étions là pour une motivation commune, pour un projet. En écoutant, en observant, je me projetais complètement dans l’enseignement à des enfants en situation de handicap.

Mon mari-prof-d’histoire-géo-qui-est-aussi-coordo-Ulis me disait depuis longtemps que je devais envisager autre chose. Je pense que le blocage, c’était les maths. Je me suis entendue lui répondre, il y a quelques jours, lorsqu’il m’a demandé pourquoi je ne franchissais pas le pas de l’enseignement spécialisé : « parce que je ne ferai plus que des maths. Et là, les maths, c’est devenu mon identité professionnelle ». Mon mari m’a rétorqué « justement, tu ne crois pas que c’est ça le problème ? »

Ca a ouvert (de façon assez fracassante) une porte que j’avais soigneusement maintenue calée en position fermée. Je suis aussi formatrice sur l’automatisation du décodage et le compréhension de l’écrit, j’enseigne les maths en allemand, je multiplie les projets en lien avec les arts, , les projets que nous construisons avec Marion sont résolument interdisciplinaires. Mais je porte les maths tout partout autour de moi et j’ai écrit un livre pour clamer leur jolie gaieté… Alors en fait c’est moi que j’enferme : pourquoi ne puis-je pas continuer à aimer et diffuser les mathématiques et la culture mathématique tout en faisant aussi autre chose ? Il est là, le choix : ne pas choisir. Au lieu de laisser des portes fermées, je vais en ouvrir sans tourner le dos à ce que je suis aussi. Et tout ce que j’ai acquis va être très utile, en plus.

J’ai commencé à contacter des personnes qui savent comment tout ça fonctionne. Ca part bien. Je me vois bien commencer par une Ulis, m’y poser un moment, ou peut-être en SEGPA, et puis peut-être aller voir côté prof référente, pour sans doute essayer de travailler en hôpital de jour. Il y a plein plein de possibilités motivantes. Ce sont des plans sur la comète : il faudra que je sois à la hauteur, que j’obtienne les certifications nécessaires, que je réponde aux besoins de l’institution. Mais bon, le premier pas c’est forcément de moi qu’il doit venir. Je vais demander à passer le CAPPEI l’année prochaine, déjà. Je pense rester encore dans ma classe une année de plus, car Laura, mon AED en prépro, a encore une année de formation, et je ne veux pas la lâcher si pour elle il est important de terminer avec moi. Et puis je me dis que cela me permettrait de travailler la transition avec tranquillité, après tout. C’est ainsi que je gère l’impatience. Tout ira mieux lorsque je serai engagée dans le CAPPEI, de toute façon. Je serai tendue vers mon but et ce sera plus concret.

C’est drôle : intérieurement, je vis en même temps un bouleversement très profond, qui m’émeut, même, et un allègement formidable. J’ignore si c’est lisible dans mes mots. J’imagine que c’est juste ça, une carrière. Mais comme c’est de la mienne qu’il s’agit, c’est important pour moi.

j’avais besoin de l’écrire.

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Mon inventaire à la Prévert

C’est ainsi que j’appelle la classe de sixième dont je suis prof principale : parmi les 29 élèves, 11 sont dans des situations très particulières. Je n’inclus pas dans l’expression « situations très particulières » les dys, ni les difficultés scolaires, même importantes. J’y inclus toutes sortes de troubles, de handicaps ou de maladies, de situations familiales hors du commun, d’arrivée récente sur le territoire français.

C’est beaucoup, 11 sur 29.

Au quotidien, pour nous enseignants, c’est un peu compliqué : il faut penser aux adaptations, avoir son traducteur prêt, des exemplaires des activités en A3, ou en police adaptée et en interligne particulier, ou avec moins de texte, ou des apports dans d’autres langues, ou des illustrations en plus pour supporter l’accès à la consigne, des questions à choix multiples au lieu de tâches de rédaction, des fichiers prêts sur GeoGebra pour ceux qui ne peuvent pas manipuler ou écrire, bref, c’est un rythme à prendre.

Aujourd’hui, j’ai fait un premier bilan, d’une part des ressentis des élèves, d’autre part de celui des enseignants.

Côté élèves, tout va bien : ils sont bien dans leur classe, ont des soucis d’élèves (comme le manque de papier toilettes aux toilettes ou la frustration d’une heure de perm le vendredi, ou un cartable effectivement trop lourd), mais voilà, ils sont bien au collège. Ils voient leurs progrès, travaillent toutes et tous sur leurs difficultés, le verbalisent. Ils sont une majorité à avoir trouvé quelqu’un à remercier pour quelque chose qu’ils ont vécu dans le trimestre, et ont des idées : et si on allait voir plus souvent les personnes âgées des maisons de retraite proches, si on mettait des fontaines dans le hall, etc. Ils ont aimé les événements au collège : le cross, les sorties ciné, les sonneries de Noël à la place de la sonnerie habituelle, l’événement madeleine de Proust…

Côté profs, les retours que j’ai semblent positifs, satisfaits, voire plus.

Donc elle fonctionne, cette classe, au niveau individuel et au niveau collectif. C’est un collectif impressionniste, mais il forme une bien belle image. Ca me fait du bien… Si mes petits élèves pouvaient influer sur la société elle-même, la vie serait plus douce.

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Former de futurs collègues

Cela fait bien longtemps que je suis tutrice. Depuis deux années et demi, je suis tutrice d’une future collègue AED en prepro. Elle s’appelle Laura et elle est vraiment top : après une phase de mise en confiance, elle est passée à l’action. Elle a circulé, puis participé, puis coenseigné, et maintenant elle anime seule des séances, en ma présence ou lorsque je suis en formation. Elle m’a suivie dans les écoles, lors de conférences, a partagé mes lectures. Elle sait tant de choses avant même d’avoir commencé en tant que titulaire, grâce à cette curiosité et cette facilité à mémoriser!

Former de futurs collègues, c’est toujours formateur pour nous. Cela nous amène à sortir de nous-mêmes, de nous adapter pour identifier des problématiques propres à la personne aux côtés de laquelle nous avançons et trouver des leviers pour développer sa professionnalité. C’est une occasion de travailler ensemble comme rarement, en quantité et en qualité. C’est un regard sur les pratiques de l’autre, mais aussi sur les nôtres. C’est un lâcher prise qui me manquait, dont je n’étais pas capable jusqu’à aujourd’hui. Elle m’apprend à moins tergiverser parfois aussi. Elle est plus claire dans ses divisions que je ne le suis parfois.

Là, au fond de la classe, à suivre le cours de statistiques de Laura, autre chose me frappe. Former un collègue en devenir (enfin là, dans le cas de Laura, le devenir est bien avancé), c’est surtout transmettre des gestes. Les contenus des leçons sont vraiment annexes : sur une leçon de stat comme la sienne, il y a peu de variations. Son cours est peut-être différent de celui que j’aurais proposé, mais de pas grand chose, de rien de crucial. A supposer qu’il ne contient pas d’erreur mathématique, une leçon ou une autre, on s’en fiche un peu je trouve. Le choix des activités et des exercices est beaucoup plus important, mais ce qui écrase tout ce sont les gestes : Laura fait naître la parole, l’organise pour que chacun(e) ait sa place, rebondit sur les remarques ou les questions, quitte à revenir à une notions complètement autre ou antérieure ou anticipée, explicite, conceptualise, modélise. Elle accueille l’erreur sans frémir, l’exploite, relancé pour que les élèves se corrigent. Elle est posée, vérifie que tout va bien avant d’avancer plus, ne crie pas, est audible. Elle sait quels sont ses objectifs. Elle identifie les obstacles didactiques lorsqu’ils se présentent et réfléchit avant de répondre. C’est tout ça qui fait qu’elle apporte des savoirs et développe des compétences. Des cours bruts, il y en a plein partout. Un prof c’est un médiateur vers des savoirs nouveaux. Et rien ne peut remplacer ça.

Et puis une conséquence, c’est que pour un élève être inattentif en classe c’est de mettre en situation d’échec, à moins de compenser comme un ouf à la maison, ce qui nécessite d’avoir de l’aide extérieure. Dans tous les cas c’est contre-productif, comme plan.