Ce matin, au petit dej, mon mari et moi discutions de la résolution des équations. Avec un de ses élèves en Ulis, il essaie de lui faire comprendre le principe de résolution, mais c’est difficile : son élève n’a déjà pas encore bien intégré la réversibilité addition/soustraction et multiplication/division, alors déterminer quelle opération appliquer pour conserver une égalité, c’est évidemment difficile. Cela m’a rappelé un échange avec des élèves de quatrième cette semaine, qui était très intéressant.
Nous avions introduit les équations depuis un moment, résolu des tas de calculs à trous, et commencé à représenter parle calcul littéral. Nous avions modélisé les équations du type x+a=b, et ça roulait plutôt pas mal, quels que soient les natures et les signes des nombres a et b.
Nous sommes arrivés devant une équation du type 3x+5=2. Comme nous avions manipulé avec mes cubes et le système de mon collègue Gani Mohamed, les élèves ont tout de suite compris que je les faisais monter en compétences et qu’il allait falloir diviser, « parce que 3x c’est trois fois x et que pour décrocher la multiplication par 3 il faut une division ». Nous avons discuté priorités de calcul, dégagé des règles, puis nous avons traité d’autres exemples, et nous sommes arrivés là où je savais que ça allait être dur-dur : une équation du type -6x+2=11.
Les élèves ont commencé par soustraire 2 dans chaque membre de l’égalité, certains mimant les plateaux de la balance avec leurs mains, d’autres ayant un accès plus direct à la résolution calculatoire. Et ensuite ? Quand on est devant -6x=9, on fait quoi ? Hé bien pour la majorité des élèves, on additionne 6, voilà.
Alors j’ai souri, parce que je m’y attendais et que j’aime bien aider les élèves à surmonter des obstacles. Comme là j’étais dans ma zone de confort, c’était tranquille. Nous sommes revenus à ce qu’est -6x. Tout le monde m’a dit: « c’est x multiplié par -6 ». « Alors on fait quoi ? » ai-je demandé. Réponse :
Bin en principe on devrait diviser, mais quand même on va pas diviser par un nombre négatif ??? … On peut, madame, diviser par un nombre négatif ?
On n’aurait pas étudié la règle des signes ? On n’aurait pas appris à gérer les divisions par des nombres négatifs ?
Si mais c’est pas pareil, là faut diviser-diviser, avec la règle des signes, on fait des calculs.
Il y a deux enseignements à ces échanges :
Je n’ai pas réussi à donner assez de sens à la règle des signes. En même temps, je comprends : je l’ai démontrée, et pour certain(e)s c’est donc du domaine de l’abstraction, de l’idéalité, voire de la bidouille ;
Diviser, cela reste faire des paquets ou déterminer combien d’objets il y a dans les paquets. Et on ne peut pas constituer concrètement des nombres négatifs de paquets, ni mettre dans des paquets un nombre négatif d’objets. Ces représentations de ce qu’est la division datent de l’école et ne sont pas facilement adaptables pour les élèves, comme beaucoup d’approches apprises à l’école. Il y a la division-division, qui a du sens, et la division-calcul, qui est manifestement autre chose.
C’est sur cette question que mon mari a eu une idée, appuyée sur du repérage, et je vais essayer. Mais on est de toute façon dans une difficulté robuste : on ne peut pas tout représenter concrètement, parce qu’à un moment donné le but est justement de passer à l’abstraction. En même temps, certains élèves en ont besoin, de manipuler, et il faut aussi les accompagner.
Cette année, la notation scientifique a pris une place toute particulière dans ma progression. Je l’envisageais plutôt comme une notion anecdotique, utile aux calculs mais surtout nécessaire pour d’autres champs scientifiques, de l’astronomie à la biologie en passant par l’économie ou l’informatique. Sans doute est-ce dû aux difficultés que j’ai rencontrées en tant qu’élève, sur la notation scientifique : on l’avait entraînée d’un point de vue technique, à déclamer la virgule (hé oui) a gauche ou à droite (je ne suis pas latéralisée) et je n’y comprenais pas grand chose. J’ai donc réagi d’une façon assez primaire : la notation scientifique, ce n’est pas très important (comprenez : puisque je n’y arrive pas bien).
Mais en fait travailler la notation scientifique est une formidable occasion de revenir sur la numération en lien avec le calcul. Je vois le même parallèle qu’avec l’exo connu pour les tout petits que Rémi Brissiaud m’a enseigné : je demande a un enfant 6 voitures. L’enfant me ramène six voitures en énonçant sa comptine numérique. Je lui dis « Ah zut, j’en voulais 7 », et si l’enfant range tout pour recommencer sa comptine jusqu’au 7, il ne sait pas vraiment compter. S’il me dit « je t’en donne une de plus », il sait. Avec la notation scientifique, j’ai transféré le même type de questionnement : « ça fait combien 106 ? » ; « Un million ». « Ok. Et ça fait combien 107 ? » Et là, je fais la différence entre les élèves qui écrivent les 0 ou en indiquent les effectifs sur leurs doigts, et celles et ceux qui ont compris tout de suite que c’est 10 fois plus.
Et à force de travailler tout cela, de décomposer, de recomposer, de donner du sens, les élèves ont trouvé tout seuls ce que donne la notation scientifique avec exposants négatifs : ils ont compris de façon autonome qu’on divise et sont passés aux décimaux comme des petites fleurs.
Ce matin, j’ai fait le point des résultats de l’Alkindi 1. Je n’ai pas encore les résultats du deuxième tour, qui est encore en route.
Sur les deux premiers binômes et les trois premiers individuels de mes classes de quatrième, soit 14 élèves, j’ai 7 filles et 7 garçons. Je suis très contente de cet équilibre.
Bon en plus, je suis tout à fait honorée : le binôme n°1 du concours en entier est dans une de mes classes… Ca sent la final, ça, ouhalala !!!
Une collègue m’a demandé ce qu’était, pour moi, la phrase de ma semaine, en classe. Facile :
Les gars, ce serait super si je pouvais dire le mot « boule » sans que vous rigoliez comme des baleines. On va régler ça une bonne fois pour toute : boule, boule, boule, tirer une boule, boule, boule, boule. Ok ? On peut travailler maintenant, ou vos hormones vous gouvernent ?
Extrait d’une heure de classe en quatrième, délicieux niveau où l’adolescence fleurit…
Aaaaah, enseignant, un métier varié, qui demande des compétences multiples, dont beaucoup de patience.
Il y a quelques jours, en quatrième, nous avons réactivé le thème des probabilités. Les élèves l’ont déjà travaillé en cinquième : depuis les programmes de 2015, les probabilités sont étudiées mathématiquement dès le début du cycle 4. C’est plutôt un point positif, car c’est un sujet accessible, propice à la modélisation, riche en représentations diverses, en lien avec l’environnement des élèves, facilement appuyé sur le ludique, support intéressant pour développer le langage… Et puis l’étude des probabilités échappe un peu à l’aspect cumulatif des mathématiques scolaires, en demeurant abordable sans pré-requis particuliers jusqu’à la classe de seconde. C’est une respiration bienvenue pour tout le monde, le moment de raccrocher sans peine des wagons. Mais il y a un revers à la médaille : nous, enseignants, nous répétons beaucoup en probas, sans grandes nouveautés sur plusieurs années. En cinquième on découvre la notion de probabilité, mais on peut déjà aller assez loin : on calcule des probabilités dans des cas simples, mais les élèves ont des tas de questions et sont aptes à comprendre au-delà des attendus de leur niveau de classe. En quatrième on modélise davantage, on convoque un vocabulaire plus développé, les situations étudiées sont plus riches. En troisième le lien entre fréquences et probabilités doit être posé, mais on peut l’avoir mis à jour bien avant. Les situations s’enrichissent encore, on utilise le tableur ou la programmation pour alléger les calculs répétitifs ou simuler l’aléatoire.
Alors il y a toujours un risque pour que les séquences de probabilités soient plan-plan, surtout en quatrième. Je n’aime pas trop ça, dans ma pratique, la plan-planitude. J’essaie de ruser en combinant inégalité triangulaire et probabilité, au travers d’une activité que j’aime beaucoup et qui rend les élèves actifs et découvreurs, ou bien nous mettons en œuvre l’expérience des aiguilles de Buffon, ou bien nous nous lançons dans des manipulations qui mènent à des modélisations intéressantes et des utilisations vraiment bienvenues des outils numériques, ou bien nous réfléchissons à partir de l’excellent jeu Avé ! ou de la cible dont j’ai équipé ma classe. Cette semaine, c’est pourtant un exercice de base qui m’a fourni un matériau de choix pour comprendre les besoins de mes élèves et devoir remédier au pied levé, ce qui me réveille toujours joyeusement les neurones.
Nous travaillions un exercice du manuel de classe, avec une situation classique : une urne, des boules de trois couleurs différentes, des probabilités à déterminer. L’urne contenait 20 boules, dont 7 vertes. A la question « quelle est la probabilité d’extraire une boule verte lors d’un tirage aléatoire », je m’attendais au classique « 7 », au prévisible « 7/3 » (car il y a trois couleurs différentes de boules), aux ricanements nerveux de quelques élèves car on parle de boules, ce qui est vraiment trop rigolo. Mais en fait, j’ai obtenu une erreur bien plus délicate :
L’élève, K, qui a résolu l’exercice au tableau a bien identifié les issues de l’expérience aléatoire, a dénombré l’effectif total de boules, a écrit une fraction de façon fort pertinente, et là, paf, a adjoint à son 7/20 un symbole de pourcentage. Lorsque je lui ai demandé de m’expliquer ce qu’il avait écrit, K m’a expliqué : « 7 c’est les boules vertes, 20 c’est toutes les boules possibles, donc 7/20. » Ok, ai-je renchéri, mais tu as écrit « % », après 7/20. « Bah oui », m’a répondu K, « c’est des chances donc faut que je réponde en pourcentages ».
Jolie représentation initiale, mais erronée. Alors j’ai fait appel aux camarades de K pour proposer de remédier à l’erreur de leur camarade, et j’ai globalement fait un flop. 7/20 ou 7/20 %, même combat. Bon bon bon. Le sens du pourcentage n’est pas posé. Les élèves savaient me dire que %, c’est « pour cent », mais que ce soit « sur cent » était un pas qu’ils n’étaient pas prêt à franchir. Ces élèves utilisent le symbole « % » comme un symbole d’unité. Ce qui est intéressant, c’est que toutes et tous, ou presque, savent calculer 50%, 10%, 1% d’une grandeur, et donc, si on leur en laisse le temps, à peu près n’importe quel pourcentage d’une grandeur. Et là, ils donnent du sens à ce qu’ils font. C’est un peu comme si le % avait là une « valeur » différente parce que nous nous plaçons dans le champ des probabilités, comme s’il était une signature des probabilités. Obstacle supplémentaire : K était entré dans sa phase de déception amère et d’auto-dénigrement que je lui connais bien maintenant. Mais je savais que je pouvais renverser la tendance, aussi, car K et moi sommes tous les deux du genre tenace, mus par le même projet : qu’il comprenne. Être tenace ensemble est un puissant moteur pour moi.
Je suis revenue à ce que signifie 7/20 : selon K lui-même, c’est « 7 chances sur 20 possibilités ». Et quand on écrit un nombre sous forme de pourcentage, que cela signifie-t-il ? Qu’« on a 100 possibilités » Mais alors pourquoi écrire ici un pourcentage, si on n’a que 20 possibilités ? « Parce qu’on peut faire comme si, et imaginer qu’on a 100 possibilités en faisant comme si c’était proportionnel ». Ah, c’est mieux, ça, ça m’ouvre une porte. Comment imaginer qu’on a une situation similaire mais avec 20 boules dans l’urne ? « C’est facile madame : on multiplie par 5 parce que 5×20 ça fait 100. Donc on multiplie aussi en haut sinon ça change tout. Ça fait 35/100 ».
Là, moment de suspension. Je vois des regards qui traduisent de la réflexion, d’autres perplexes. J’attends. Je me tais. C’est difficile, ça, pour moi, mais essentiel pour les élèves. C’est K qui reprend « mais madame, ça veut pas dire que ça fait 35%, quand même… » Hé si, 7 sur 20 ou 35 sur 100, c’est la même proportion. J’ai poursuivi sur ma lancée : voyons quelle écriture décimale a 7/20. 7/20, c’est égal à 3,5/10 (qui n’est certes pas une fraction, mais cela ne change rien), soit 0,35. Mmmmmh, 0,35 ? 35 centièmes ? Là, j’ai vu K accepter, parce qu’il recollait tous les morceaux.
Je pense qu’il faudra y revenir ; j’ai encore deux passages par les pourcentages dans ma programmation, ce qui me semble indispensable. Mais K a, je pense, compris, et n’est pas le seul dans la classe : il est passé de son traditionnel « je comprends rien de toute façon j’ai tout faux chuis nul » à « c’est super simple madame, c’est tout, là, y a que ça à comprendre ? », ce qui est un bon présage pour la suite.
Il demeure que c’est intéressant de voir comme certaines notions peuvent être utilisées correctement dans certaines circonstances, y être automatisées, même, et ne pas résister aux transferts vers un autre contexte. Et puis il y a le poids de pseudo-conventions, comme le fait de croire qu’il faut faire référence à des % si on parle probas. Pourtant, il y a sans doute derrière ceci une qualité : faire des liens entre mathématiques scolaires et environnement, avec les données dont sont si friands les médias, la plupart du temps exprimées en pourcentages. Le « de chances » ajouté par K à la fin de chaque ligne va en ce sens. C’est aussi pour ça que nous sommes là, nous enseignant(e)s : pour donner des clefs de lecture et de compréhension.
Mes bonheurs-ricochets, c’est quand des élèves comprennent quelque chose qui n’était pas l’objectif central prévu, mais que c’est super important. Aujourd’hui, c’était en quatrième. J’avais décidé de déployer l’activité de mon collègue Gani, activité sur la résolution d’équations, qu’il met en oeuvre avec moi en co-enseignement avec une autre classe de quatrième (trop chouette). Avec Laura, nous avions pensé des modifications pour que l’activité s’adapte aux niveaux très variés de ma classe, et corresponde à notre programmation. Je ferai bientôt un article pour raconter cette séance, mais ça va être un peu long à faire et là je n’ai pas trop le temps.
Donc, j’en reviens à mon joli ricochet. Une élève manipule pour résoudre une équation. Elle obtient une représentation matérielle de 2x = 8. Elle demeure perplexe : comment savoir ce que vaut x ? Car cette élève ne possède pas la division, ce qui complique l’acquisition de nouvelles compétences, forcément. Mais comme l’activité permet de manipuler, et que l’élève est vive et pleine d’initiative, elle cogite et je la vois prendre un des cubes de numération composant le nombre 8, et le poser sous un des pions qui représentent x. Elle en saisit un autre et le pose sous le « deuxième x ». Elle recommence jusqu’à épuisement des cubes et m’appelle : « madame, est-ce que ça veut dire que x ça vaut 4 ? » J’acquiesce, et je la vois s’illuminer. « Je crois que j’ai compris, madame. Je fais celle d’après ».
Elle bidouille son équation, et passe de 4x + 2 = x + 17 à 3x = 15 sans difficulté. Ca, les questions d’équilibre, elle a compris. Si j’enlève des unités d’un côté, je fais pareil de l’autre. Si j’enlève un x d’un côté, j’enlève un x de l’autre. Parfait. Avec elle on n’est pas encore à la modélisation par la représentation algébrique, mais ce n’est pas grave : elle donne du sens à ce qu’elle fait et je sens grandir cette énergie en moi, caractéristique de quand il se passe un truc vraiment important dans la tête d’un élève.
Devant 3x = 15, elle recommence ses paquets, unité par unité. Mais elle constitue bien trois paquets. Elle obtient x = 5, et m’appelle à nouveau pour valider. Là, elle me dit deux choses :
Madame, j’ai remarqué quelque chose : c’est parce que 3 x 5 ça fait 15 qu’on a 5 unités pour chaque paquet, non ?
Mais vous l’avez fait exprès, les nombres, là, non ? Parce que y en a jamais qui restent. Comment je ferais s’il y en avait qui restaient ?
Alors nous avons développé : oui, il y a un rapport avec 3 x 5, et comment alors anticiper le résultat avant même de faire la manip ? Evidemment, là, il faut les tables, pour cette élève, sinon c’est trop de paramètres. Mais elle m’a dit elle-même : « Mais madame, c’est ça, la division, non ? On fait des paquets et on cherche combien on met d’unités par paquets ? C’est ça, non ??? » Hé oui. Alors nous sommes parties ensuite sur « s’il en reste » : ça s’appelle effectivement le reste, dans la division, et en effet j’ai fait exprès que le reste soit nul. Nous avons pris un exemple où le reste aurait été de 1 pour 2 paquets, de 4 pour 8 paquets, et nous sommes convenues que non, nous n’allions pas couper mes cubes de numération en deux.
Mais cette élève est repartie super fière, dynamisée par sa nouvelle compréhension de la division et par sa première approche réussie de la résolution d’équations.
En quatrième, nous avons travaillé le théorème de Pythagore. En principe, les élèves sont outillés et savent à peu près tout faire : calculer la longueur si deux sont connues dans un triangle rectangle, prouver qu’un triangle est rectangle ou ne l’est pas, connaissant les mesures de longueur des trois côtés. Mais les situations que nous avons travaillées sont toutes purement mathématiques, soit pseudo concrètes
Travailler des exercices contextualisés mais représentés en version papier, c’est important, pour travailler la compréhension d’une consigne complexe et l’extraction d’informations, les images mentales, et puis comprendre à quoi ça sert, justement, tout cela. Des exercices purement mathématiques, sans contexte, c’est important aussi : les mathématiques sont utiles, mais il faut aussi s’entraîner pour travailler les gestes mentaux, ce qui est parfois plus accessible pour les élèves en difficulté, puisque moins d’informations sont données et qu’on se centre sur les données et la question. Et on peut trouver des exercices un peu rigolos, comme ce pile up, que j’aime beaucoup, qui permet d’automatiser tout en devant rester très attentif, et qui fait un peu voyager :
Mais voilà, j’aime bien aussi travailler des exercices complètement concrets. Je m’inspire donc d’un exercice du manuel Sesamaths (certains exercices ci-dessus en sont également issus), en le « mettant en matériel » plutôt que de le mettre en mots ou en images. Voilà à quoi ressemble cette séance.
D’abord, je présente l’objet central : un arc pour enfant. Il appartenait à un de nos garçons quand il était enfant. La corde est élastique.
Une fois l’objet présenté, ma question est la suivante : pourquoi est-ce que je vous présente cet objet ? Que pourrions-nous bien faire avec ?
Évidemment, les propositions initiales sont « lancer des flèches », assorties de pas mal de propositions plus ou moins farfelues et inenvisageables. Je le sais, je m’y attends, et d’une certaine façon cela fait partie du jeu : à ce moment-là, j’ai l’attention de toutes et tous. Alors je recentre : « on est en maths, vous vous souvenez ? »
Les élèves cherchent, parfois trouvent, parfois se disent qu’il y aurait bien du théorème de Pythagore dans l’air… Mais ce n’est pas si facile de modéliser notre arc. Le premier élément qu’ils trouvent, en général, c’est « de combien la corde s’allonge-t-elle quand on la tend ? » C’est bien, déjà, mais cela manque de contraintes : je peux la tendre plus ou moins. Et exprimer cette tension en termes de force paraît difficile en quatrième. Alors comment faire ? « On peut dire comment on la recule, madame ! » émerge, la plupart du temps. « Ok, mais reculer comment ? Finalement c’est un peu comme se demander comment on la tend, quelle force on exerce, il faut encore préciser… » Alors nous débattons, et toujours des élèves trouvent que plus on éloigne la main du bois de l’arc, plus la corde est tendue. Aaaaah, nous y voilà : nous pourrions mesurer la distance entre la main et l’arc. Mais quelle partie de la main ? Quelle partie de l’arc ? Comment définir des points, vraiment passer à la modélisation mathématique, mais en ayant posé le vocabulaire qui permet à chacun(e) de comprendre sans équivoque ? Croyez-moi, c’est tout un truc d’en arriver là.
Au bout d’un moment, d’efforts et de partages, nous avons une consigne. Parfois on donne la distance point de tension de la corde – « centre » de l’arc, parfois la longueur dont la corde s’allonge. Et il faut calculer l’autre donnée. Mais pour que cela soit possible, il faut encore repérer les différentes mesures : c’est très difficile pour une majorité d’élèves de faire le lien entre la longueur de la corde au repos et le double de l’hypoténuse d’un triangle rectangle qu’ils repèrent assez facilement.
Il rester encore à mettre en forme la consigne de façon définitive, à prendre les mesures sur l’arc « en vrai », à vérifier qu’elle est explicite, et à résoudre le problème. Une dernière étape est d’attribuer des noms aux points importants : certains élèves hésitent encore à considérer qu’ils en ont le « droit », ou s’interrogent sur un choix plus pertinent qu’un autre pour nommer ces points.
L’idéal, c’est de pouvoir proposer l’exercice à une autre classe. Cette année, ce devrait être possible avec un de mes collègues. Les réponses nous reviennent et les élèves peuvent les analyser : quels écueils ? Sont-ils imputables à la consigne, à la présentation du problème, ou à des erreurs de raisonnement, des manques dans les savoirs ? Les réponses sont-elles justifiées, suffisamment, correctement ?
Là, nous aurons exploité cet arc d’enfant. Nous aurons retravaillé l’égalité de Pythagore, mais surtout nous aurons réfléchi à la modélisation et à la façon dont on met en mots une consigne. Devoir la transmettre oblige à réfléchir à ses propres besoins.
Et comme ça, on sait à quoi ça sert, le théorème de Pythagore : ça sert à calculer des trucs chelous sur un arc de gamin. Enfin, c’est ce que m’a dit un élève il y a deux ans. En ajoutant « et c’était trop dar, j’ai bien aimé madame ».
Il vient d’ici, référence qui regorge de belles questions sans paroles.
Alors, savez-vous quoi qui n’y a là’d’dans ?
L’extraction de données utiles ;
L’interprétation de codages ;
La détermination des angles d’un octogone à partir ce ce qu’on sait en quatrième ;
Des calculs d’angles à partir de l’alignement ;
Le théorème direct de Pythagore (deux fois) ;
La manipulation de racine carré ;
La manipulation d’un nombre irrationnel en écriture fractionnaire (il y a de quoi causer) ;
La double distributivité (je n’ai vu que la distributivité simple, mais c’est l’occasion).
J’ai perdu ma journée de vendredi pour cause de gros microbe ; je vais mettre ce problème de côté pour cette semaine ou pour la rentrée. Il est bien joli et bien adapté à mes objectifs de quatrième.
En quatrième, nous avons travaillé sur les puissances : ce qu’est un nombre élevé à la puissance quelque chose, comment on calcule, comment agit la règle des signes sur les puissances. Et puis les élèves ont posé des questions, qui nous ont amenés à parler explicitement des propriétés des puissances. Nous avons raisonné sur les exemples, mais la tentation était trop forte de passer au littéral. Alors en expliquant pourquoi c’était plus efficace, j’ai fait venir des élèves ces quatre règles :
Nous nous sommes entraînés sur des exercices de Pyromaths, nous avons réexplicité les formules, catégorisé les questions des exercices par type de formule, et puis à un moment donné il était temps dévaluer tout cela. J’ai proposé cette petite évaluation, qui a pris autour de dix minutes pur la classe (mais moins de cinq minutes pour pas mal d’élèves) :
Ce matin, j’ai corrigé deux classes de quatrième. C’est vraiment intéressant : sur les deux classes, j’ai lu très peu copies d’élèves qui n’ont pas compris la partie application numérique (ils savent appliquer une règle, mais pas plus). Beaucoup d’élèves ont été capables de restituer les formules, mais seuls cinq ont placé des parenthèses autour de xy dans la dernière. Deux élèves n’ont pas réussi à relier les formules aux questions précédentes, même quand ils ne savaient pas répondre à la partie numérique ou à la partie littérale. Deux élèves ont réussi à restituer les formules, mais sans lien avec la partie numérique, non traitée.
Ce que cela m’apprend, c’est que le lien numérique-littéral n’est pas encore assez fort : des élèves répondent bien à la partie numérique et donnent des expressions littérales fausses (éventuellement toutes identiques d’ailleurs). La réciproque est plus rare mais existe, ce qui est étonnant je trouve. En revanche, ce que pratiquement tout le monde a réussi, c’est à associer l’expression littérale aux expressions numériques. Et c’est déjà ça, c’est un pas important vers la modélisation.
Je vais poursuivre ce travail pour donner du sens au littéral, privilégier le sens out en développant les automatismes et la mémorisation. Je trouve très important de savoir faire sur le numérique, mais aussi d’être capable de donner un modèle. Suis-je dans les clous du programme ? Sans doute pas :
Et en même temps, si : je suis bien partie du sens des opérations, d’exemples numériques, et ensuite les élèves ont modélisé littéralement. Ces formules ne figurent certes pas au programme, mais le programme est une base qui peut être dépassée. Je garde en tête, en évaluant, les objectifs curriculaires. Mais on va plus loin : je crois que c’est ce que je dois faire, dans ce cas. Pas pour les savoirs sur les puissances elles-mêmes, mais pour travailler le sens de la multiplication et ce qu’est la modélisation, ainsi que son intérêt.
Hier, nous avons, avec une de mes classes de quatrième, traité de l’inégalité triangulaire. J’avais piqué l’idée des spaghettis aux collègues sur Twitter. Hé bien cela m’a fait gagner un temps fou. J’ai hâte de voir si dans le cadre d’une découverte comme en cinquième (et non d’une réactivation en quatrième) ça marche aussi bien, mais là en un quart d’heure c’était plié, trace écrite comprise, formulée par les élèves eux-même.
Les étapes :
Prenez un spaghetti. Oui oui, il est à vous. Attention, on ne casse pas son spaghetti. Faites comme s’il était précieux, trèèèès précieux. (Là, prenez le temps d’observer vos élèves tenant avec une précaution infinie leur spaghetti sans le quitter des yeux, c’est délicieux)
Ecoutez bien ma consigne jusqu’au bout avant de faire quoi que ce soit. Ok, tout le monde m’écoute jusqu’à la fin avant de passer à l’action. Vous allez, quand je vous dirai « allez on y va », casser votre spaghetti en trois parties, mais pas forcément égales. D’accord ? Questions ? Bon, allez on y va. (Là encore, observez les élèves se concentrer visiblement pour casser leur spaghetti d’une façon unique, en respectant votre consigne)
Bon. Ca y est ? Oui, question ? Oui, tu pourras le manger après, mais tu as bien remarqué qu’il est cru, ce spaghetti ? Oui, c’est comestible quand même. Non, ils ne sont pas périmés. Non, je ne te donnerai pas le reste. D’abord j’ai d’autres classes qui vont faire cette activité, et puis après je ramène ce qui reste et je fais des bolo. Allez, tout le monde pose ses trois bouts de spaghettis. Maintenant, je voudrais que vous formiez une triangle dont les sommets sont formés par les extrémités de vos morceaux coupés. (Ecoutez les « bah voilà. Bah pourquoi toi ça marche pas ??? » / « fais voir, toi tu peux ? Pourquoi je peux pas moi ??? »)
Vous avez réussi ? Oui, toi c’est bon ? Toi non ??? Bah tu ne peux pas faire autrement ? Je veux un triangle, moi… Ce n’est pas possible ? Pourquoi ? Parce que quand tu tournes comme ça tes bouts de spaghettis ils ne se rencontrent pas ? Ah. Intéressant. Donc on a deux cas possibles, c’est ça ? Ah, toi tu obtiens un truc-bizarre-mais-tu-sais-pas-si-c’est-normal ?
Pouvez-vous me résumer ce qui se passe ?
Si les deux petits bouts mis bout à bout ils sont plus courts que le grand bout, on peut pas.
Très bien. On reformule façon maths pour mettre dans le cahier de leçons ?
Si la somme des deux longueurs les plus petites est inférieure à la longueur la plus grande, le triangle n’est pas constructible.
Mais alors madame, pourquoi on parle de triangle, s’il existe pas ? Ca a du sens, de dire qu’un triangle n’est pas constructible ? Puisqu’il n’y a pas de triangle ?
Bon, c’était top. Les élèves étaient réactifs et tout, impec. Le bilan est positif, et je vais passer à mon activité inégalité triangulaire et probas, en fin de semaine ou à la rentrée. Je trouve le coup des spaghettis vraiment porteur d’une plus-value : lorsqu’on montre aux élèves des arcs de cercle qui ne se coupent pas, on montre un lieu de points qui reste virtuel. Avec les morceaux de spaghettis, les élèves peuvent faire tourner les petits morceaux autour de chaque extrémité du grand côté, et constater visuellement que cela ne fonctionne pas et ne fonctionnera jamais. A la place d’un lieu de points, ils voient les côtés. Ca change complètement leur activité mentale. Ensuite il faut revenir à la modélisation, expliquer pourquoi dans le principe, mais c’est beaucoup plus facile car les élèves ont vraiment vu, avec toutes les configurations des trois morceaux entre eux. Ils se sont convaincus, plutôt que de nous croire parce que cela a l’air convainquant. Et puis nous avons pu revenir sur ce qu’est un cercle, parler du cas du triangle équilatéral (si j’ai trois mesures égales, le triangle est-il toujours constructible ? Pourquoi ?).