Nombres en formation
Ce matin, j’ai rencontré des collègues de cycle 2 de Rouen et sa région pour parler nombres et calculs. Des maths, dés échanges, des rencontres, avec toujours en visée les élèves… C’est ressourçant!




Ce matin, j’ai rencontré des collègues de cycle 2 de Rouen et sa région pour parler nombres et calculs. Des maths, dés échanges, des rencontres, avec toujours en visée les élèves… C’est ressourçant!
Ce matin, j’anime une formation à destinations d’enseignant et de formateurs du premier degré, sur les nombres et le calcul en cycle 2. Moi qui ai quitté la formation il y a 3 ans, au niveau académique, je suis très contente. Alors avant de partir, je révise : une formation agréable se doit d’être fluide. Mieux vaudrait que je ne sois pas accrochée à mon diapo.
En révisant, je me dis : elle manque de poésie, cette formation. Elle est très centrée sur l’analyse et les outils, ce qu’on m’a demandé par ailleurs. Mais bon, on me l’a demandée à moi, j’ai donc le droit, voire le devoir (oui oui oui, le devoir) d’y mettre ma patte. Je vais faire le clown, naturellement, je vais employer toutes ces expressions polletaises qui de toute façon m’échappent même si j’essaie de les retenir, mais j’ai envie de poésie, ce matin, voilà.
Alfred de Vigny, que je n’aime guère lire par ailleurs, a écrit ceci :
Les nombres, jeune enfant, dans le ciel t’apparaissent
Comme un mobile chœur d’esprits harmonieux
Qui s’unissent dans l’air, se confondent, se pressent
En constellations faites pour tes grands yeux.
Nos chiffres sont pour toi de lents degrés informes
Qui gênent les pieds forts de tes nombres énormes,
Ralentissent leurs pas, embarrassent leurs jeux;
Quand ta main les écrit, quand pour nous tu les nommes,
C’est pour te conformer au langage des hommes ;
Mais on te voit souffrir de peindre lentement
Ces esprits lumineux en simulacres sombres,
Et, par de lourds anneaux, d’enchaîner ces beaux nombres
Qu’un seul de tes regards contemple en un moment
Va, c’est la poésie encor qui, dans ton âme,
Peint l’Algèbre infaillible en symboles de flamme
Et t’emplit tout entier du divin élément :
Car le poëte voit sans règle
Le mot secret de tous les sphinx;
Pour le ciel, il a l’œil de l’Aigle,
Et pour la terre l’œil du lynx.
La poésie des nombres
Alfred de Vigny a écrit ce poème pour à « Henri Mondeux, mathématicien de 14 ans », qui passa son enfance à garder les moutons et découvrit les chiffres par la manipulation de cailloux et brindilles. Henry Mondeux était un calculateur prodige, mais seulement sur certaines opérations. Malgré les encouragements de Cauchy entre autres, Henri Mondeux tomba dans l’oubli. Enfin pas tout à fait, puisqu’il a laissé suffisamment de traces pour que je puisse écrire cet article aujourd’hui.
Je trouve ce poème assez remarquable dans ce qu’il exprime du nombre : la distinction chiffre/nombre est vraiment d’une grande clarté, et les chiffres sont rhabillés pour le printemps, en « simulacres sombres ». La fin du poème me laisse un peu perplexe, mais en tout cas j’ai un peu de poésie pour ce matin…
Le deuxième trimestre est terminé. Il me reste donc un trimestre, un seul trimestre, en tant que prof de maths, si tout va bien : hier, j’ai formulé des vœux pour muter vers une Ulis l’année prochaine. Je saurai sans doute bientôt si je suis retenue pour la formation CAPPEI pour la session 2024, aussi. Je vis donc une espèce de transition, ce pour quoi je ne suis pas très douée : j’aime le mouvement, mais pas trop l’attente. Et pourtant, je n’ai guère le choix : je saurai au moins de juin si je pars en tant que coordonnatrice Ulis.
Alors je rationalise, je me concentre à fond sur mes élèves, je profite de la dernière fois où j’amène la découverte du théorème de Thalès, de l’ultime explication de la notation scientifique avec des exposants négatifs, de l’AlKindi et des Olympiades, événements auxquels beaucoup de mes élèves ont envie de participer cette année. Je prépare mes activités favorites avec gourmandise, pour aller encore plus loin que les années précédentes, portée par des classes toutes chouettes. C’est bien : je quitterai mon établissement avec de beaux souvenirs et aucun sentiment d’ennui. Et un sacré bazar.
Mais quand même, je toupine. Et j’ai beau faire, essayer de vivre « juste » le présent, je me projette. J’ai une idée assez claire de ce à quoi je voudrais que ressemblent mes activités de promotion de la culture mathématique. Mais à quoi ressemblera ma pratique des mathématiques en Ulis ? Aller régulièrement animer des séances dans l’Ulis dont est coordo mon mari m’aide à poser des repères. Un nombre non négligeable de mes activités de cycle 3, et quelques-unes des cycle 4 sont transférables : celles où on joue, où on manipule ou on bricole pour faire comprendre et développer la modélisation, et aussi des activités qui visent l’automatisation. Mon expérience dans les classes de primaire est un précieux atout. Les séquences et les séances que j’ai pu imaginer, avec Marion ou Christelle, les indéfectibles et super imaginatives copines professeures des écoles, me donnent des exemples concrets de mélange des genres : pour arriver aux mathématiques, on n’est pas obligé d’emprunter un boulevard. On peut se glisser par une fenêtre… J’ai des idées qui naissent, avec des associations plus ou moins réalisables selon la structure, les équipements et les envies des équipes de l’établissement dans lequel j’arriverai : j’ai jeté dans mon carnet de projets des idées d’associations entre maths et à peu près toutes les disciplines du collège, mais aussi maths-cuisine, maths-couture. Je rêve de projets appuyés à des lectures pas mathématiques du tout, en collaboration avec des personnels variés de l’établissement, avec des structures de personnes âgées… Il faut dire que j’ai de l’inspiration à la maison, et une idée assez précise des contraintes, des obstacles, des leviers. C’est pratique et rassurant.Alors justement, réfléchissons aux obstacles. Il y a l’accès à la langue, déjà. Ce n’est pas un obstacle spécifique aux mathématiques, mais il en impacte fortement la transmission, car les mathématiques nécessitent de manipuler le langage courant, et en plus d’identifier, comprendre et mémoriser ce qu’on appelle le langage mathématique. Il y a la gestion de la différenciation, bien sûr : certains élèves auront un niveau apparenté partiellement ou complètement au cycle 2, d’autres au cycle 3, voire au cycle 4. Je cogite pas mal pour trouver des moyens de gérer les plans de travail individualisés (et ainsi pousser au maximum chacune et chacun dans ses apprentissages et ses compétences) tout en préservant des moments communs à un maximum d’élèves, et créer aussi une culture commune sur le groupe et avec moi. Pas fastoche, ça. Mais l’obstacle auquel je me heurte le plus âprement pour le moment est beaucoup plus « philosophique » : je vais travailler avec des élèves dont au moins une partie sera en situation d’anxiété et de manque de confiance en mathématiques, voire de dépréciation de soi. Restaurer leur estime va demander du temps, et des gestes professionnels spécifiques. Or quand on est stressé, on n’est pas apte à accepter tranquillement l’erreur, ni à s’engager dans l’abstraction. On n’est pas forcément un modèle de patience, non plus. Faut-il alors que je me concentre sur les automatismes, justement, ou puis-je travailler la compréhension de façon plus conceptuelle ? Ou bien encore puis-je transiger et viser un juste milieu ? Par exemple, quand un(e) élève aura des difficultés sur le nombre décimal, comment lutterai-je contre la virgule qui se balade ? Jusqu’où irai-je ? Je n’en sais rien. Mais je réfléchis. J’imagine des situations pédagogiques et didactiques, je teste sur mes élèves et ceux de mon mari, je crois avoir avancé et puis finalement pas du tout, je pense avoir fixé une idée et je change d’avis le lendemain… Bref, je m’amuse.
En fait, j’ai assez à penser pour attendre facilement jusqu’en juin… Là, il me faudra décrocher les affichages qui couvrent intégralement ma classe, trier le matériel (le peu qui appartient au collège, ce qui m’appartient mais qui va à la maison, ce qui m’appartient et qui part en Ulis). Mais rien que penser les mathématiques en Ulis est bien envahissant comme il faut. Et je ne vais pas enseigner que les maths… Mais je vais attendre l’été pour travailler des progressions dans les autres champs disciplinaires : ma réflexion en mathématiques est de toute façon transférable à d’autres pratiques, et au cas où je n’obtiendrai pas de mutation. Dans les autres disciplines, c’est différent.
Cela fait un moment que j’ai promis de décrire le dispositif de mon collègue, Gani Mohamed, que nous coanimons avec sa classe : il a 4h hebdomadaires avec une de ses classes et j’ai les heures quinzaine de groupe. Il vient coenseigner avec moi avec le premier groupe, et ensuite je reproduis sur le deuxième. Le thème, filé depuis le milieu du premier trimestre : la résolution d’équations.
Gani s’est appuyé sur un dispositif existant, à partir d’un article dont j’ai oublié la référence. Il article trois niveaux successifs.
Premier niveau : des constantes positives et des inconnues
Les pions bleus représentent chacun l’inconnue. Ls dés symbolisent le nombre d’unités (côté constates) ajouté. La balance ou la règle évoquent l’équilibre, matérialisent l’égalité.Tout de suite, cela a bien fonctionné. Mais j’avais un souci, de mon côté : utiliser le même dé pour représenter des nombres d’unités différents me gêne, associé au principe de la balance. Peut-être avec des dés tous sur la face 1 nous éviterons certains obstacles. Alors pour ma part j’ai remplacé les dés par des cubes de numération, qui en plus présentent l’avantage d’être clipsables et déclipsables, ce qui est particulièrement pratique lorsqu’il fait diviser : on peut facilement représenter la correspondance entre 1 seul pion et un certain nombre d’unités constantes.
A ce niveau, on induit bien l’effet des opérations sur chaque membre de l’égalité, la nécessité d’opérer les mêmes dans chaque membre, et le calcul mental est facilité. Je me suis approprié le dispositif pour mes classes, du coup, mais en associant tout de suite la représentation puis la modélisation. Gani, lui, a préféré continuer la manipulation et n’introduire la représentation avec les calculs qu’au troisième niveau. En revanche il a beaucoup plus insisté que moi sur la vérification, ce en quoi il a sans doute raison.
Deuxième niveau : des inconnu et l’opposé de l’inconnue
Les pions bleus, c’est x. Voici les pions blancs, qui représentent -x. Sur ses fiches à compléter, Gani les note « * ». Là encore, j’ai gardé ses idées, en nommant explicitement -x au lieu de « * » et en précisant bien qu’on quitte l’idée de la balance. Parce qu’ajouter un pions pour exprimer qu’on retire éventuellement quelque chose, c’est délicat. Mais à ce niveau, les élèves ont déjà bien modélisé et cela n’a pas posé de souci. Toutefois, j’ai vraiment expliqué aux élèves pourquoi je procédais ainsi et quelles limites je voyais, pour éviter de mauvaises représentations. La discussion qui s’est engagée entre nous a été très intéressante : les élèves ont compris quelles questions je me pose, et pourquoi. Je pense que cela les a aidé à éviter certaines confusions, en fait. Vive l’explicite !
Cette étape est essentielle pour comprendre que x+(-x)=0 et permet des tas de simplifications. Je n’avais pas compris comme elle est importante au départ. La suite m’a montré comme ce principe de manipulation est pertinente et efficace.
Tout est possible, car tout est relatif !
Nous voilà dans les négatifs pour les contantes. Cela met un peu de couleurs… Et ça marche bien ! Pour ma part ces manipulations n’ont été que projetées à la visualiseuse, réalisées par des élèves ou en « dictée à l’adulte ». Comme j’avais déjà modélisé plus tôt, ç’aurait été un peu artificiel je crois. C’est simplement dû à la progression différente que j’ai choisie. Mais pour des élèves qui ont besoin de voir, de manipuler, qui sont en difficulté ou ne parlent pas français, cela m’a vraiment permis de lever des blocages.
Le dispositif de manipulation n’est pas fluide dans tous les cas : pour représenter « x-2(-x+3) », il faut poser du matériel en plus pour en enlever avant de commencer, et là ça devient vraiment compliqué. Mais je reste convaincue pour l’introduction : c’est plus simple et pratique, et plus efficace, que ce que je faisais auparavant.
Au final, Gani m’a permis de reconsidérer ma façon d’introduire les résolutions d’équations ; et la sienne a très bien fonctionné. Je suis juste trop impatiente de modélisation pour suivre ses pas, mais ses élèves sont très performants avec le matériel. Et j’adore ces échanges, qui me font avancer, et sont toujours tranquilles et constructifs. Que du bonheur.
Et la suite ?
Hé bien j’aimerais tester avec les Ulis de mon mari, en attendant de tester avec mes Ulis à moi l’année prochaine… J’ai vraiment envie de voir ce que cela permet, jusqu’où je pourrai aller. Mais avant, il faut que je lui en parle et qu’il soit d’accord pour aller aussi loin dans des compétences de cycle 4…
J’ai un projet, qui va se concrétiser cette semaine, de séance façon « inclusion universelle », c’est-à-dire pensée pour des élèves en situation de handicap ou de trouble, ou bien allophones, mais qui est la même pour toute la classe. Des aménagements, aides et variations sont prévues, mais c’est chaque élève qui décide d’y avoir recours ou pas. Le fond et la forme sont pensés pour s’adapter le plus naturellement possible à chacun et à chacune. Mercredi, mes élèves de sixième vivront donc une séance filmée, avec des idées un peu neuves. Alors j’ai décidé de mettre de Vinci à la sauce inclusion universelle, pour donner déjà des repères aux élèves et leur faire comprendre ce que je recherche : une fiche de repères de la séance, des cartes de rôles pour se répartir les tâches, etc. En ligne de mire : le triptyque manipuler-verbaliser-abstraire.
Hé bien ils ont travaillé comme des champions et sont allés trop vite… Evidemment j’avais des prolongements dans la manche, mais la plupart des groupes se sont engagés dans les prolongements. Aujourd’hui, il s’agissait d’analyser, construire la figure, sur papier, d’élaborer un programme de construction et de réfléchir aux obstacles rencontrés. Demain matin nous faisons un bilan en classe entière, et demain matin mais plus tard, nous allons en salle info pour construire la figure sur GeoGebra.
Pour des précisions sur la séance et des documents, voici Léonard de Vinci en Ulis et Léonard de Vinci en sixième.
Cette semaine et la suivante vont être riches de projets pour moi, avec des aboutissements sur des thèmes qui me sont chers. Cette semaine, c’est un nouveau dispositif que je teste en coenseignement avec une collègue d’un autre établissement, et le regard de deux chercheurs… J’ai hâte de voir ce que cela va donner !
Je me suis bien régalée. Devinez sur quoi porte cette formation ? Mmmmh ?
Sur LinkedIn, j’ai reçu ce message qui m’a laissée tout à fait perplexe :
Reprenez le contrôle : la star de vos formations, c’est vous ! 🤩
Mettez des paillettes dans vos animations avec XXX ! 🎉
Non mais ça va pas bien ???
Alors déjà le contrôle, je ne l’ai pas perdu, merci. Ensuite, la star de mes formations, ce sont les élèves. Moi, je suis prof et formatrice, pas star. Et pour finir, aux paillettes dans des animations je préfère la profondeur des contenus. Je sais que je n’y arrive pas toujours, mais de là à abandonner la quête du fond pour des paillettes dans la forme…
Quel message de $&%#@*, je vous jure…
Les commissions Inter IREM Collège et Lycée organisent un colloque : « Raisonner en arithmétique. Est-ce incongru ? L’enseignement de l’arithmétique du cycle 3 à l’entrée à l’université. » Ce colloque aura lieu à Talence (33) les 15, 16 et 17 juin 2023.
Ce colloque sera l’occasion de proposer une synthèse de ces travaux en abordant des questions qui se posent aux enseignants et aux formateurs : Quels enjeux d’apprentissage de l’arithmétique du cycle 3 à l’université ? Comment permet-elle d’engager les élèves dans un processus de preuve ? Quelles compétences mathématiques sont travaillées à travers son apprentissage ? Quelle(s) articulation(s) entre arithmétique et logique ? Quel apport de l’histoire des mathématiques concernant les usages de l’arithmétique ? Quels transferts en classe ? Quelle place pour l’algorithmique et la programmation ? Et c’est du trèèèès beau monde qui participera… Les inscriptions seront ouvertes à partir du 30 janvier 2023.