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Construire une évaluation, ce que c’est difficile !

Demain mes élèves de cinquième seront évalués sur une heure. J’évalue très souvent, de façon rapide, en action en classe, en salle info, et je réévalue dès que je le peux. Mais une fois par période, je propose une évaluation récapitulative, sur la période mais aussi sur l’année. Construire ces évaluations, je trouve ça incroyablement complexe, et presque 30 ans de métier n’y changent pas grand chose, à part sans doute que je me pose encore plus de questions. Je suis davantage consciente du fait que l’évaluation est un moment très très fort d’apprentissage, aussi.

D’abord, il faut faire des choix d’objectifs : qu’est-ce que je veux évaluer ? Quels savoirs, quelles compétences ? Ca, ça va, c’est simple.

Ensuite, il faut trouver des tâches qui soient accessible à toutes et tous, ne présentent pas de problème de lexique, se rapportent bien à ce que nous avons travaillé, mais ne soient pas non plus des redites : les entraînements purs, je les teste en évaluation flash, et là je veux aller ailleurs.

Une fois cette étape atteinte, j’ai beaucoup trop d’exercices. Alors je catégorise, en les rangeant dans des parties nommées par le thème : « calcul littéral », « angles et triangles », etc. Et je m’interroge sur chaque item : qu’apporte cette question ? Que vais-je vraiment pouvoir évaluer ? Quels éléments parasites pourraient empêcher mes élèves de montrer ce qu’ils savent et ce qu’ils savent faire ? C’est la partie délicate, pour deux raisons : il y a des tâches que j’aime, auxquelles je tiens, et que j’ai du mal à abandonner alors qu’elles ne sont en fait pas bien adaptées au contexte évaluatif. Et puis même si j’ai progressé, c’est difficile de me mettre à la place d’élèves qui n’ont vraiment pas compris quelque chose. D’autant que si j’évalue maintenant, c’est parce que je crois que toutes et tous ont compris…

Bon quand j’en suis là, je mets en page. Objectif : que tout cela occupe un A3 recto-verso, qui sera plié en livret, de sorte que les réponses soient écrites sur cette feuille (sauf les figures, qui seront réalisées sur une feuille blanche à part, glissée dans l’évaluation-livret). J’aime bien que les élèves aient toujours le même type de support : des exercices qui annoncent ce sur quoi ils portent, pour choisir l’ordre de résolution, une forme qui est stable.

Quand j’ai fini par obtenir ce que je veux, que la mise en page me convient, j’imprime et je résous. Et en général je déchante. Des variables didactiques mal choisies, des redondances dans ce que j’évalue… Je corrige, je reprends, je réimprime, je reteste.

Après tout cela, j’ouvre mon Sacoche et j’attribue les compétences. C’est là que parfois tout est à refaire, parce que je n’ai pas un éventail suffisamment large de savoirs et de compétences dans l’évaluation, ou bien parce que des compétences qui me semblent fondamentales manquent…

Dans ce cas-là, C’est reparti pour un tour.

Et quand j’ai un contenu ordinaire qui me convient, c’est le moment de penser différenciation. Si tout va bien, elle est déjà incluse. Parfois, il faut que je revoie des choses ou que je prévoie un coup de pouce : des pictos, des mots en langue étrangère, des amorces pour les figures, des exemples pour illustrer ce que j’attends…

C’est un sacré boulot. Pourtant, une fois les copies revenues, et même parfois en direct pendant l’évaluation, je m’aperçois que ce n’est pas encore assez pertinent. Je le note, je l’analyse, et je réfléchis pour la fois prochaine… Sans que cela nuise aux élèves bien sûr.

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Cataclop, cataclop

Cet après-midi, j’avais une réunion à l’inspection, une co-intervention à l’INSPE, une réunion CAPPEI et un groupe de travail. Comme je n’ai pas le don d’ubiquité, et tant mieux d’ailleurs, j’ai fait des choix. Mais entre les réunions j’ai réussi à corriger toutes mes évaluations flash (j’en avais 6) et d’évaluer mes courses aux nombres (j’en avais 5). Ca fait un joli tas de copies… Et d’assez belles performances, sur les évaluations flash. Sur les courses aux nombres, je ne sais pas trop, il va falloir que j’analyse tout ça plus finement. En tout cas, je tire quelques enseignements :

  • Les évaluations flash, c’est facile à corriger, mais c’est comme les moustiques : quand il y en a plein, c’est drôlement fatigant ;
  • C’est sympa de raisonner par périodes dans l’année, avec « d’abord on bosse le sens en automatisant un peu », ensuite « on bosse à fond le sens et on automatise moins », et là « on automatise à fond à fond », mais avec mes 5 classes en même temps ça fait beaucoup de copies, quand même ;
  • Les élèves connaissent de moins en moins leurs tables de multiplications. Je leur ai expliqué comment mettre leurs compétences en valeur, en explicitant des calculs sans les résoudre, dans lesdites évaluations flash, où une méconnaissance des tables amène facilement à être cognitivement débordé. Du coup le taux de réussite grimpe en flèche, ce qui est très chouette, mais c’est tout de même bien embêtant pour le quotidien de toutes et tous ces élèves. Et je n’ai pas beaucoup de temps disponible pour leur faire réviser les tables, sans compter que pour cela je dois différencier car certain(e)s ignorent la table de 5 quand pour d’autres le problème se limite aux tables de 7 et 8, et quand d’autres les connaissent très bien ;
  • Pour la course aux nombres, mes appuis ne suffisent pas pour les élèves non lecteurs (j’en ai 2 encore) et les élèves allophones qui ne parlent pas français (j’en ai 4). Je vois bien que leur production ne reflète pas leurs compétences et leurs savoirs, flûte.

Bon, j’ai une dernière réunion, je file.

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Harcèlement sexuel dans le milieu scientifique : la honte

Un article du Monde du 22 mars 2023, écrit par Nathalie Brafman, relaie les conclusions d’un sondage mené par Ipsos pour la Fondation L’Oréal auprès de 5 200 scientifiques, dans 117 pays : une scientifique sur deux a été « personnellement confrontée à au moins une situation de harcèlement sexuel au cours de sa carrière ».

Ce sont les jeunes chercheuses qui sont le plus souvent harcelées. L’enquête montre ainsi que deux tiers d’entre elles disent l’avoir été au moins une fois en début de carrière. Et pour 65 % des femmes, ces situations ont eu un impact négatif sur leur carrière, 25 % disent aussi s’être senties en danger sur leur lieu de travail.

Source

Et les faits de « sexisme ordinaire » sont encore plus répandus : c’est quatre femmes sur cinq qui y sont confrontées : « propos inappropriés, usages de surnoms « poupée, minette… », insultes, questions intrusives sur la vie privée ou sexuelle ».

Quelle honte… Malheureusement, ce n’est pas une surprise. Et le silence règne : seulement la moitié des personnes concernées a parlé de ces pressions à son entourage, ce qui signifie que l’autre moitié est complètement seule face à cette violence, et une personne sur cinq a fait remonter les fait à l’institution. De même, si un chercheur sur deux reconnaît avoir été témoin de faits de harcèlement, la moitié d’entre eux s’est tue, estimant que la situation n’était « pas si grave », ou que la victime « n’avait pas l’air bouleversée ». Et puis bon, victime ou témoin, les choix sont pesants pour la carrière, dans un univers où la cooptation règne en maître…

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L’attention aux vulnérabilités des élèves

Pour les Cahiers Pédagogiques, j’ai lu et recensé cet ouvrage de Christophe Marsollier :

J’attendrai que ma recension soit publiée sur les Cahiers avant de la proposer ici. Mais si vous voulez lire un livre utile, clair, pas du tout du tout bisounours mais à juste titre, et qui propose des solutions concrètes, lisez-le. Bon, en même temps c’est du Christophe Marsollier, et jamais encore je n’ai été déçue par ses écrits ou ses conférences. Son ouvrage est hyper argumenté et étayé de sources scientifiques.

Je crois que ce qui m’a plu le plus, c’est la réhabilitation naturelle du mot « bienveillance », galvaudé, décrié, déformé en particulier sur les réseaux sociaux. Oui, la bienveillance est un concept, ce n’est pas creux, c’est élémentaire et nécessaire. Personne n’a dit que la bienveillance c’était de la démagogie. Et surtout pas Christophe Marsollier.

S’agissant des élèves, le comportement des adultes, notamment des enseignants, peut (…) jouer un rôle déterminant vis-à-vis de leur bien-être et de leur réussite.

(…)

Encore aujourd’hui, une majorité de parents et d’enseignants ne mesurent pas la souffrance psychologique ressentie souvent en silence par les enfants, ni les dégâts à moyen et long termes et les comportements symptomatiques provoqués par la VEO qu’ils subissent : instabilité émotionnelle, troubles de la personnalité, agressivité, perte d’estime de soi, timidité, repli sur soi, incompréhension, démotivation, difficulté de concentration, troubles du sommeil, absences scolaires, troubles du comportement alimentaire, décrochage scolaire, tentative de suicide, addictions diverses (tabac, alcool, drogues), etc. La VEO affecte l’estime de soi et la construction du sentiment d’identité de l’enfant. Elle entrave le développement des capacités d’empathie, de penser par soi-même et d’autonomie. Elle limite l’enfant dans ses possibilités d’émancipation et de réalisation personnelle.

(…)

En tant qu’enseignant, l’asymétrie de la relation pédagogique l’oblige sur le plan moral. Elle lui enjoint de faire preuve de déonto-logie, et en cela à respecter des principes (discrétion, réserve, laïcité, dignité, impartialité, neutralité, intégrité, probité) et des valeurs (éga-lité des chances, justice, protection, respect, bienveillance, confiance, inclusion, etc.) qui fondent la qualité du service public. C’est surtout sur le plan éthique, c’est-à-dire sur le plan de la délibération morale, que cette asymétrie doit le conduire à rechercher, à l’occasion de tous les choix et microdécisions qui orientent et pilotent son action, ce qu’il est juste et bien de dire ou d’accomplir pour l’émancipation de l’élève, son bien-être à long terme, sa réussite et son épanouissement personnel. Tout particulièrement, dans les moments où il résiste à son projet, lorsqu’il donne des signes de découragement, de repli, de vulnérabilité, qu’il se perd vraiment.

Le livre

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L’épreuve de maths de fin de cursus secondaire en Turquie

Ce matin, j’ai retravaillé sur des exercices de l’épreuve de fin de cursus d’enseignement secondaire turc, avec une élève qui s’y prépare. Nous arrivons aux questions 15, 16, etc., sur une épreuve qui en compte 40, et je suis perplexe. Jusqu’ici, nous avons rencontré des exercices qui demandaient assez peu de connaissances, et s’apparentent souvent à des énigmes. On peut s’en sortir par essais-erreurs, même si cela risque de faire perdre du temps dans un examen qu’il faut mener tambour battant si on veut avoir une chance d’atteindre le score requis. J’ai parlé d’exercices ici, , encore ici ou encore , ou Aujourd’hui, j’ai préparé ces exercices :

En voici les traductions :

Dans la première traduction, la question est en fait « Que vaut a ? ».

Ces exercices me semblent en fait très inéquitables et je m’interroge sur ce qu’ils révèlent sur les capacités en mathématiques.

Inéquitables, car l’obstacle de la lecture est énorme. Comprendre de quoi il retourne prend du temps et n’est pas aisé. Les énoncés sont très tarabiscotés, et me rappellent les légendaires problèmes de robinets et de trains, heureusement disparus. De ce fait, on évalue davantage un entraînement qui s’apparente à du dressage que de réelles capacités à raisonner, me semble-t-il. Il y a des capacités mathématiques et quelques savoirs, derrière tout ceci quand même, mais ce n’est pas la priorité manifestement. J’imagine que de nombreuses officines de préceptorat doivent fleurir ; car je vois aussi avec difficulté comment un enseignant peut préparer une classe à cette épreuve.

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C’est l’histoire d’un spermatozoïde…

… qui s’appelle Paulo. Autant vous l’annoncer d’emblée, Paulo et moi, on n’est pas trop copains. Ou plutôt Nicholas Allan et moi, on n’est pas trop copains. Après tout, Paulo n’y est pour rien.

Alors voilà, Paulo est à l’école des spermatozoïdes (dit comme ça c’est un peu saugrenu, mais dans l’album jeunesse ça passe). Première contrariété pour moi :

Paulo n’est pas très fort en calcul, ok. Mais si pour Paulo il est envisageable que 54 + 135 soit égal à 10, ce n’est forcément pas de sa faute ; il a raté une paire de marches dans la construction du nombre et mieux vaudrait trouver des remédiations que faire la tête, non mais sans blague. Quant aux camarades spermatozoïdes qui l’insultent franchement sans que le professeur spermatozoïde n’intervienne, mais quelle horreur ! D’ailleurs cela se confirme : Paulo est soit complètement stressé, soit dyscalculique :

Ce qui se confirme aussi, c’est que son enseignant n’est vraiment pas bienveillant, ni constructif. Evidemment que si Paulo ne sait pas effectuer 54 + 135, il ne saura pas déterminer le prédécesseur entier de « 300 millions », écrit ainsi qui plus est. Cela étant, c’est une chouette question de sixième, de trouver le prédécesseur entier de « 300 millions ».

Toujours est-il que fort en calcul ou pas, à un moment donné, c’est le top départ pour Paulo et ses 299 999 999 camarades :

Remarquez l’insistance de « Paulo n’est pas très fort en calcul », leitmotiv de l’album. Mais comme Paulo est très fort en natation (mais pas en calcul, l’aviez-vous noté ?), il arrive en premier, peu avant Rex, mais voilà, dans la vie d’un spermatozoïde, être fort en natation est manifestement plus utile qu’être fort en calcul, et toc.

Ensuite, que se passe-t-il ? La grande histoire de la vie… Un enfant naît. Et là, accrochez-vous, ça m’a tellement mise de travers que je n’ai pas acheté le livre (mais maintenant je regrette) : le fait de ne pas être fort en calcul, hé bien c’est GENETIQUE !!! (et transmis par le père, en l’occurrence)

Et puis c’est comme ça et ça ne changera pas : « elle s’aperçoit que… », voilà, c’est un état et il faudra faire avec. En plus, le camarade humain est aussi teigneux que les camarades spermatozoïdes, l’enseignante encore plus négative. Misère…

Rhalalalala, ça m’a énervée, cette histoire de spermatozoïdes…

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A l’impossible…

…nul, et en l’occurrence nulle n’est tenue. Une collègue me disait récemment qu’elle trouvait remarquable ma capacité à monter de gros projets et à aller jusqu’au bout. He bien cette année, j’ai un contre-exemple : j’avais un super chouette projet de cartographie. Pour l’année de Maths à la carte, cela me semblait parfait. J’en ai parlé aux élèves à la rentrée de septembre, nous avons travaillé dessus, j’ai travaillé dessus de mon côté.

Et puis voilà, les difficultés se sont amoncelées. Des difficultés de type c’est-la-faute-à-personne, des difficultés de type c’est-la-faute-à-quelqu’un, un coût financier qui va encore me revenir, et puis rien de fluide dans l’opérationnel… Je jette l’éponge. J’ai mené des combats pour des projets, pourtant, mais là c’est trop et j’en ai assez, ras la casquette, plein les chaussettes, bref : zut. Je range mon projet, en le mettant soigneusement de côté : je trouverai bien un moyen de le recycler d’une façon ou d’une autre, ailleurs, à un autre moment. Sans doute le fait de mener pas mal d’autres projets, en dehors de l’établissement, me fait prendre du recul. Parce qu’ailleurs, ça se passe mieux, en fait. Alors je ne suis pas prête à m’épuiser en luttant contre différents courants divergents, et je sais que je dois aussi prendre soin de moi. Je n’ai pas de sentiment de culpabilité, ni d’échec personnel. Au contraire, je suis satisfaite de ma décision car elle est sage. J’ai longuement réfléchi pour la prendre, envisagé des tas de variations et de solutions, mais quand ça veut pas, ça veut pas.

Mais bon, je n’allais pas non plus renoncer à tout. La semaine des maths, ça se fête, quand même ! Alors j’ai cogité : qui dit fête des maths, qui dit projet, ne dit pas forcément truc de ouf. Il me faut du consistant, des objectifs péda et/ou dida clairs, de la culture, de la gaité et de la variété. Comme je fais classe ouverte sur cette période, je voudrais aussi impliquer les parents.

Je vais donc faire simple et festif : chaque jour pendant ces dix jours (car cette année la semaine des maths dure dix jours), nous mènerons une activité sympa, avec ou sans rapport avec Maths à la carte, mais qui marquera le coup. Cela ira de la balade mathématique dans le quartier à de l’origami, en passant par des débats philo et des rallyes, avec un soupçon de lectures, d’histoire, de cuisine, de jeux et d’arts. Ca va être beau, facile à déployer pour moi, enrichissant pour tout le monde.

Voilà.

C’est bien, comme ça.

Mais bon, on n’en gagne pas, dans l’éducation nationale, tout de même.

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To be HPI or not to be HPI

HPI, c’est « haut potentiel intellectuel ». Que recouvre vraiment ce sigle ? Pour certains c’est un super pouvoir, pour d’autres un trouble, voire un handicap. On considère parfois l’appellation comme ancrée dans le cognitif, parfois dans le neurologique, parfois dans le psychologique. Pour certain(e)s c’est une chimère, pour d’autres l’explication de bien des comportements, scolaires en particuliers, gênants pour l’enseignant bien souvent.

De ma place d’enseignante, je n’en sais rien. Mon métier ne consiste pas à poser des diagnostiques. Je remarque que les familles qui suggèrent, arguent ou brandissent le HPI dans nos échanges n’ont jamais devant moi évoqué de document médical, de bilan de tel ou tel spécialiste. Je sais bien qu’en général on renvoie à une histoire de QI, mais la nature même et la façon dont les tests sont menés fait débat. De ma place de maman, je constate qu’une de nos enfants, avec son étiquette « autiste à haut potentiel intellectuel », a des compétences très au-dessus de la moyenne dans certains domaines, et très très faibles dans d’autres. Et on nous a souvent dit que ses frères sont HPI, mais comme ça pouf, sans test (que nous n’avons par ailleurs pas demandés) et sans propositions liées à cette affirmation non plus.

Conclusion : ne jugeons pas, c’est compliqué. Faut-il un label HPI ou pas ? Je n’en sais rien non plus.

Ce qui est certain, c’est que nombre d’enfants ont des soucis, des désagréments ou des difficultés à l’école parce que ça se passe différemment dans leur tête (et que ça s’exprime dans les comportements), différemment d’une façon qu’on peut regrouper. Attention, je ne parle que de mon ressenti, de mon expérience, cela n’a rien de modélisant. Mais j’ai là en tête des élèves précis, assez nombreux, qui par exemple :

  • ont une posture corporelle qui varie très vite du petit pois sauteur (« hé, les loulous, je vais vous expliquer un peu la géométrie sphérique ») à l’avachissement (« ça vous dit de résoudre 18 équations identiques d’affilée ? »)
  • posent des questions saugrenues, qui semblent n’avoir aucun rapport avec ce qu’on explique, ou bien des questions dérangeantes, qui paraissent parfois provocatrices
  • dessinent beaucoup
  • manifestent une très grande sensibilité
  • ont, au moins au collège, un goût prononcé et affiché pour le gore, l’évocation de la mort
  • semblent bâcler pas mal leur travail
  • résistent encore et encore à l’envahisseur à justifier et rédiger leurs réponses
  • aiment échanger avec les adultes, mais sont plutôt isolés avec leurs pairs
  • peuvent être insolents avec un grand naturel et l’impression de « juste dire ce qui est »
  • ont des champs culturels très vastes ou très spécialisés

Alors bon, tout ce que je décris au-dessus est très naturel, en fait : l’ennui dû à un cours qu’on juge inintéressant, l’adolescence et le gore et la provoc, la flemme d’expliquer comment on a fait puisqu’on l’a, ce fichu bon résultat, cela décrit la majorité de nos élèves. Oui, mais on pourrait tout de même regrouper des élèves autour de la présence de beaucoup de ces caractéristiques en même temps, et autour de leur intensité. Et de ma petite expérience, il y a une caractéristique qui est vraiment un indicateur : les questions saugrenues et divergentes par rapport au sujet. Vous parlez d’angles alternes-internes, par exemple, et bim, une élève pose une question, urgente manifestement, qui porte sur les freins d’un vélo. Ou bien vous êtes en probas, et paf, un élève vous demande d’imaginer ce qui se passerait chez un poulet si on lui coupait la tête et que patati et patata. Et alors si vous êtes en train d’expliquer les durées en revenant sur les mouvements de la Terre, ou bien si vous parlez d’une vidéo qui analyse une fake new, alors là, wouhouuuu, on s’accroche, ça va tanguer, allez-y les jeunes, même pas peurs de vos questions !

Alors que faire quand on est enseignant, avec et pour ces jeunes ?

Déjà, comme pour tout le monde, rester bienveillant, même si, c’est vrai, ces comportements peuvent sérieusement mettre les nerfs par dessus le tricot. En même temps, pourquoi mettent-ils sérieusement mettre les nerfs par dessus le tricot ? Parce que ce sont des comportements atypiques (mais qu’est-ce que l’ordinaire ?) qui se voient et qui s’entendent, y compris par rapport au groupe classe. L’élève qui rencontre des troubles et est en difficulté silencieuse est finalement considéré comme moins gênant. C’est affreux, mais c’est un fait : celle ou celui qui affiche son ennui, qui interrompt la séance sans cesse, qui semble provocateur, peut sembler menacer l’enseignant. Alors que non, je ne crois pas. Selon comment on le vit, et donc comment on le gère, voire comment on l’explique, comment on le met en lumière avec la classe, on peut réussir à garder de l’harmonie. Bon, ça marche si la classe n’est pas déjà dysfonctionnelle, et si on a posé dès le départ qu’on est prêt à s’adapter et qu’on a des propositions, qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Elles peuvent ne pas être efficaces tout de suite ou ne pas être les bonnes, mais elles ont le mérite d’être là, et c’est déjà pas mal pour les enfants concernés et leurs familles. Cela étant, il faut aussi poser des limites : il y a des règles auxquelles on ne peut pas déroger, quant au respect les uns des autres en particulier, et il y a des moments où oui, tu as une question vitale, mais tu viendras la poser tout à l’heure à la récré, parce que là, tout de suite, j’ai besoin d’arriver à un point précis de ma séance, donc chut s’il te plaît.

Ensuite concrètement, que peut-on proposer ? J’ai diverses solutions qui passent en général par une adaptation en direct, mais qui parfois sont anticipées. Mais rien de fou, je vous préviens…

  • Je prévois des supports différenciés pour les élèves en avance sur une tâche, histoire que les autres puissent prendre leur temps. Les élèves en difficulté ont des adaptations, mais je vais prévoir des énigmes (type problème sans parole en géométrie), des fiches qui abordent des problèmes historiques (Syracuse, etc.), des problèmes de construction, des fiches de l’APMEP de logique (les logigrammes, des problèmes de patates ou des fiches de la brochure programmation) ou sur le thème travaillé avec le groupe, pour faire cogiter et ne surtout pas laisser des neurones gourmands à l’abandon ;
  • Je ne m’arcboute pas quand l’élève est pris d’une frénésie d’aller voir ailleurs. Par exemple, un élève est complètement parti dans sa tête après que j’ai évoqué des systèmes de numération non décimaux, parce que mes anciens de sixième en avaient parlé. J’ai bien vu que c’était peine perdue, qu’on allait se prendre la tête et que mon thème du jour était chez lui déjà bien installé de toutes façons. Alors j’ai sorti les bouquins, je lui ai indiqué quelles pages étudier et je lui ai demandé d’inventer son système de numération à lui. Il a poursuivi chez lui, plusieurs semaines, et au final c’était une expérience vraiment passionnante qu’il a exposée à ses camarades dans un exposé ;
  • Je passe du temps à expliquer pourquoi je veux qu’on me produise des justifications. Cette année, j’ai réussi avec tout le monde (oui oui, tout le monde) dans mes classes, à obtenir au moins quelques explications. Mes pseudo-HPI sont celles et ceux qui ont le plus résisté. Pour réussir, je leur ai sorti une copie (anonyme et datant d’il y a plusieurs années, que j’utilise aussi en formation) et mon référentiel de compétences, et nous avons cherché ensemble les indices qui me permettent d’attribuer tel ou tel niveau. Ca m’a bouloté des récré, cette histoire, mais cet exercice a motivé les élèves concernés et maintenant ils justifient, parfois d’une façon éblouissante. Accessoirement, il leur a aussi montré qu’un prof, ça bosse et ça réfléchit ;
  • Je ne force pas le travail en groupe pour certain(e)s de ces élèves, mais je l’encourage et je l’aménage, et c’est une victoire lorsque ça se passe bien et se pérennise.

Une précision toutefois : presque toutes mes fiches d’exos ou d’activité prévoient des niveaux « objectif dépassé », et toutes et tous mes élèves y ont accès. Soit c’est sur la fiche et chacun(e) pioche par rapport à son niveau, soit c’est sur des supports à part mais j’en ai assez pour tout le monde qui serait intéressé, mais, si j’impose à certain(e)s de les traiter, je n’empêche personne de le faire et je donne l’accès à toutes et tous.

En fait, mon but est « simplement » (mais c’est bien complexe) de faire travailler ces jeunes et de leur enseigner. Cela passe par mes tentatives pour leur donner le goût d’apprendre, entretenir leur motivation scolaire, leur donner envie d’être là, le plus serein(e)s possibles, leur montrer que je les prends en compte. Il y a des hauts et des bas, des aleas, mais c’est normal. Je voudrais favoriser leur capacité à être au groupe, pour pouvoir préparer la suite de leur vie. Mais il n’y a pas de solution unique ou miracle, ou bien je n’en ai pas trouvé. On est à l’articulation enseignement-éducation, en plus, ce qui est toujours un peu inconfortable.