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L’école est finie

Un métier qui prend aux tripes, qui envahit toute notre vie jusqu’à parfois oblitérer la vie personnelle et épuiser mentalement et physiquement, la multiplicité des tâches, le manque de soutien de l’institution, le manque de continuité, l’exploitation des AESH, l’invisibilité de la médecine du travail et de la DRH, une solitude terrible : le constat exposé par les (ex ou pas)enseignants interviewés dans le documentaire L’école est finie, de Julie Chauvin, diffusé sur France 3 Normandie, tape fort. Les témoignages convergent, simplement.

Le documentaire est accessible ici.

Je ne veux plus appartenir à ce système qui banalise et qui fait croire que ça va bien alors qu’en fait on est en train de bousiller des humains qui s’occupent d’autres humains.

J’ai trouvé ce documentaire juste et touchant. Il respecte les enseignants. Je ne suis juste pas fan des mises en scène de classes dévastées, même si la volonté est sans doute allégorique.

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Notre devise serait-elle du bourrage de mou ?

Le Cnesco va publier une série de 4 notes pour mieux analyser les faibles résultats des élèves en mathématiques en France : « en 2019, les élèves de CM1 en France obtiennent de moins bons résultats en mathématiques que ceux des autres pays de l’OCDE pour tous les niveaux de performance de l’enquête », a conclu Timss 2019. Il ne fait pas bon être socialement défavorisé, en France, à l’école (entre autres), par rapport aux autres pays de l’OCDE. Et même les performances des élèves les plus en réussite sont inférieures à celles de leurs camarades en réussite ailleurs. Bon, c’est pas top du tout. C’est même catastrophique et insupportable. Partout on tire le signal d’alarme, depuis longtemps maintenant. Mais rien n’est fait, dans la réalité, à part des gesticulations et des affichages.

Dans cette première note, en date du 29 septembre 2021, le Cnesco compare l’écart de réussite entre les filles et les garçons ; il est semblable en France et ailleurs dans l’OCDE (les filles réussissent un peu moins bien que les garçons). C’est côté inégalités sociales que le Cnesco propose des éléments plus déterminants : d’abord, il n’y a pas en France plus d’élèves défavorisés (c’est-à-dire dans le premier quartile international des enfants socialement défavorisés), en proportion de la population scolaire, qu’ailleurs dans l’OCDE. Le taux des élèves défavorisés qui atteignent un niveau intermédiaire en mathématiques correspond à peu près à la moyenne des pays de l’OCDE. En revanche, les élèves français défavorisés sont sur-représentés dans les petits niveaux de compétences, et sous-représentés dans les niveaux élevés. La conclusion du Cnesco est claire et étayée :

L’école française ne parvient ni à garantir la maîtrise de compétences élémentaires à tous les élèves défavorisés, ni à permettre aux meilleurs d’entre eux d’atteindre un niveau élevé.

Enfin, comme partout dans l’OCDE, il y a un « effet école » : un élève défavorisé réussit mieux dans une école socialement favorisée : vive l’hétérogénéité ! Mais en la matière, la France échoue : 54 % des élèves de CM1 en 2019 fréquentaient une école socialement défavorisée, contre 35 % en moyenne dans l’OCDE. C’est la carte scolaire qui pêche, et les plans d’urbanisme. Mais quel politique aura le courage de prôner la mixité sociale ?

En tout cas, on dirait bien que tout n’est pas de la faute des professeurs des écoles. Dingue, non ? C’était pratique, pourtant. Et drôle, aussi : que des politiques tapent sur le profil « littéraire » des professeurs des écoles, cela pourrait être drôle, dans la mesure où des politiques bons en maths, ça ne court pas les rues. La différence avec les PE, c’est que les PE, eux, se forment pour tout enseigner.

Elle est vraiment très bien faite, cette note du Cnesco. Dommage qu’elle soit aussi démoralisante.

Comment assumer la devise de notre pays, quand la structure scolaire elle-même clive et entretient les inégalités ?

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Notre élitisme n’est pas républicain, il est surtout social

C’est Jean-Paul Delahaye qui le dit, avec ce ton calme et puissant, appuyé sa grande culture sociale et scolaire. En formation, nous en revenons toujours à ses apports. Difficile de faire mieux dans le domaine.

Nous avons le meilleur système éducatif du monde, mais pour 50% de nos élèves.

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Le jour des vacances, le souvenir de Samuel Paty

Demain soir, je quitterai le collège pour deux semaines de vacances, heureuse de pouvoir débrancher le réveil, profiter des miens, continuer de faire des projets. Je me réjouirai des petits plats que nous mitonnerons, des cadeaux que nous partagerons, de la douceur d’être ensemble.

En sortant de ma classe, je penserai, comme presque quotidiennement et pourtant différemment, à notre collègue Samuel Paty. Sa vie à lui s’est arrêtée le soir des vacances précédentes. Il devait être soulagé d’être en vacances, après l’horrible période qu’il venait de vivre. Mais il n’est jamais arrivé chez lui, victime d’une barbarie incroyable. Je penserai aussi à sa famille, qui va vivre les fêtes sans lui.

Je voudrais tant qu’il ne soit pas oublié. Je voudrais aussi que son souvenir soit utile à nous faire avancer, tous ensemble, vers une société intelligente, apaisée, raisonnable, pensante, pacifique. Mais il me semble que le buzz et l’immédiateté, l’imprévision et l’oubli caractérisent bien plus notre société.

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Lundi.

Ce texte a été difficile à écrire, lundi. Peut-être pourtant m’a-t-il aidée, car chez moi poser des mots est toujours constructif. Je ne comptais pas le publier ici (il était pour le Café péda), mais des messages de collègues m’ont vraiment touchée, et m’ont fait changer d’avis.

Je suis rentrée chez moi. Mon mari pas encore : son établissement est en grève, ils sont en assemblée générale. À cette heure-ci, j’aurais dû être dans une école. Mais en sortant de cours au collège, je ne suis allée ni dans la première école, ni dans la deuxième : les consignes ne sont pas claires quant à des visites en classe de personnes extérieures, et je ne veux mettre personne en porte-à-faux. J’attendrai donc que tout cela s’éclaircisse, en espérant obtenir rapidement l’autorisation d’aller travailler avec mes collègues professeurs des écoles, et avec les enfants.

Je suis fatiguée. J’ai peu dormi. Il en faut, pourtant, pour perturber mon sommeil. De jour, je rationalise, je puise mon énergie auprès de mes proches, je fais le clown pour les enfants, je m’évade dans les savoirs. Mais cela ne suffit plus. Je suis, nous sommes profondément bouleversés.

Je ressens une terrible tristesse. Mais dans ces lignes, je ne vais pas développer mes sentiments. Cette tristesse, c’est la mienne. Elle est intime, je ne la partagerai pas. Elle n’a pas de mots, d’ailleurs. Je vais, à la place, vous raconter ma matinée.

À 7h30, je suis arrivée au collège. Pour cette semaine, nous conservons nos classes. Les chefs travaillent sur l’application du protocole, qui doit être mis en œuvre lundi prochain, selon les exigences institutionnelles. Nous rentrons donc dans les mêmes conditions qu’avant les vacances. Rester encore dans ma classe m’arrange bien, car mon enseignement s’appuie sur le matériel qu’elle contient. Il demeure que ce changement qui n’en est pas un laisse une impression étrange et inconfortable : la situation est grave, le virus circule, mais pour moi peu de choses changent. Certes, je vais animer mes formations en distanciel et non en présentiel. Mais pour le reste, c’est comme avant les vacances. Je lis dans la presse des commentaires sur le « protocole renforcé ». Je suis perplexe. Il y a les annonces, et il y a la réalité. Qu’est-ce qui compte le plus, aujourd’hui, entre les deux ?

 À 7h50, deux élèves se sont présentées devant ma classe, deux élèves que je n’ai plus en classe cette année. Elles sont venues me demander comment j’allais. Elles m’avaient fait un dessin, un oiseau avec des symboles mathématiques qui semblent jaillir de ses ailes. Et au-dessus, « merci de nous apprendre, madame Lommé ».

À 8h, j’ai commencé la classe. J’ai fait l’appel. Et puis je me suis avancée devant mes élèves, tellement graves que j’en étais impressionnée. Je leur ai d’abord expliqué que j’avais besoin de leur parler de Samuel Paty. Je leur ai expliqué que c’est important pour moi, que je ne peux pas commencer à faire classe de mathématiques sans cela. J’ai retracé l’histoire, pour donner des faits. Beaucoup d’élèves en étaient restés à des informations fausses. Ensemble, nous avons rétabli la vérité. La terrible chaîne qui part d’un mensonge, se prolonge en colère, est amplifiée par quelques personnes sur des réseaux sociaux,  et là plus rien n’est maîtrisable. Les élèves avaient des questions : pourquoi Samuel Paty a-t-il montré cette caricature ? Qu’y avait-il dessus ? A-t-il eu tort de le faire ? L’élève qui a menti va-t-elle aller en prison ? Est-ce que vous avez peur, madame ?

J’ai répondu, à ces questions. Pour la dernière, j’ai demandé de préciser : peur de quoi ? Peur d’enseigner, de venir au collège, m’a-t-on répondu. Alors non, je n’ai pas peur. Et j’ai tu l’effroi que je ressens devant certaines dérives profondes de notre société.

Pour terminer, j’ai montré mon pendentif aux élèves. C’est un pendentif en métal, sculpté par un soldat de la Première Guerre Mondiale, dans les tranchées. Il porte un message : « Aimer toujours, oublier jamais ». C’est mon mari qui me l’a offert il y a quelques années. À chaque fois que je le mets, je pense à cet homme que je ne connais pas, dont je ne sais rien. Le message est magnifique et m’émeut, toujours. Peut-être n’aurais-je pas apprécié cet homme, si je l’avais connu. Mais j’aime sa démarche : il se bat, il est là, dans les tranchées, il côtoie la souffrance et la mort, et que fait-il entre deux assauts ? Il fabrique ce bijou. Qu’écrit-il dessus ? « Aimer toujours, oublier jamais ». J’ai expliqué que cet objet me fait penser à ce qui se passe aujourd’hui : il ne faut pas que la haine l’emporte. Il ne s’agit pas non plus d’oublier, et je n’oublierai jamais Samuel Paty.

J’ai quand même dû m’interrompre deux fois. L’émotion me submergeait. Heureusement ma collègue d’Ulis nous avait rejoints, et m’a relayée très professionnellement et très intelligemment.

J’ai ensuite laissé du temps aux élèves pour s’exprimer encore. Leurs questions sont venues sur le confinement. Ils sont inquiets d’un confinement total, comme l’année dernière. Ils souffrent de ne pas pouvoir sortir jouer avec les copains, alors que la maladie est invisible à leurs yeux. Là encore, nous avons explicité, ôté les ombres. Aujourd’hui, un reconfinement total n’est pas à l’ordre du jour. Et s’il intervenait, nous nous organiserions. J’ai expliqué comment, et au fur et à mesure je suis redevenue « madame Lommé » : rassurer les élèves, organiser, planifier, maintenir le lien, pédagogique et social, ça, je sais faire.

Et puis nous sommes revenus aux mathématiques. Et nous avons été drôlement efficaces. Nous avons travaillé sur les langages en géométrie.

10h, récréation. Des élèves sont venus me dire bonjour, demander des nouvelles, me raconter leurs histoires de vacances et leurs nouvelles découvertes sur le continuum espace-temps. Quelle chance de travailler avec eux : ils vous embarquent dans un mouvement tellement vivant, et me montrent de si belles qualités. Et j’ai rejoint la salle des profs alors que la récréation s’achevait. Là, je n’ai pu que contempler la douleur, la sidération, la colère de beaucoup de mes collègues. Entre sentiment d’abandon de l’institution, impression de mise en danger, perte de repères face aux injonctions contradictoires et tardives, comment travailler sereinement ?

10h20. L’heure suivante était celle de la minute de silence. Je n’avais pas d’élèves. À 11h, la voix du chef d’établissement a retenti dans tous les haut-parleurs du collège. Avec solennité, il nous a invités à faire silence. Tout le collège s’est tu, comme enveloppé de coton. J’étais seule, dans ma grande classe, à la table de bricolage, et je terminais mes découpages d’activité pour mercredi. J’ai posé mes ciseaux et laissé la vague de chagrin se briser. Une fois, la seule fois.

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Une journée riche en émotions (2)

Après A., qui m’a bien retournée, Nadia aussi m’a toute émue. J’avais écrit que j’avais conseillé à nos enfants de ne pas devenir enseignants, et, connaissant ma foi en ce métier, vous avez été plusieurs à réagir. Nadia m’a autorisé à reproduire ses propos ici.

Je te lis de façon très irrégulière (quand j’ai le temps…) et aujourd’hui j’avais envie de lire autre chose que ce que j’entends depuis ce matin à la télé alors je suis allée faire un tour sur ton blog. Mais contre toute attente, après avoir lu ton article, je me sens encore plus triste…
Je bosse dans le collège qui se trouve à 5min à pied de l’église où le prêtre s’est fait assassiner il y a quelques années… alors je vois à quoi tu fais référence Claire lorsque tu parles d’hyper-violence. Pas dans mon établissement attention, les gamins sont SUPER, mais dans “l’autour”, dans la folie et la cruauté de quelques personnes ignares qui se prennent pour Dieu… Mais, justement Claire, plus que jamais l’école a un rôle primordial ! Et c’est bien en ce sens que c’est un métier d’avenir au contraire !
L’année dernière j’étais PP d’une classe de 6ème et j’avais en charge un élève décrit par son ancienne maîtresse comme très violent. En effet, les bagarres dans la cour de récréation se sont vite succédées. J’ai réussi à instaurer une relation de confiance avec cet élève (et sa famille) et progressivement, grâce au suivi que l’on a mis en place avec le CPE, son comportement s’est très nettement amélioré. Un matin, il est venu me chercher dans la salle des profs pendant la récréation pour me dire : « Madame, Untel est en train de se moquer de moi et de continuer à m’embêter alors que je lui ai déjà dit d’arrêter. Faites quelque chose Madame s’il vous plait, parce que là, si il continue, je vais finir par lui casser la figure.» Quelle fierté j’ai ressenti à ce moment-là ! Cet élève qui avait l’habitude de tout régler à coup de poings et de se faire justice lui-même, avait enfin suffisamment confiance dans l’adulte pour le solliciter avant d’utiliser ses poings pour régler les conflits ! Quelle victoire ! Et quel plaisir aussi nous avons ressenti avec ma Principale Adjointe lorsqu’au conseil de classe du 2ème trimestre, nous avons proposé les Encouragements qui ont été validés par l’équipe au complet ! Alors pourquoi priver tes enfants de ressentir ces sentiments s’ils voulaient un jour devenir Professeur ? Pourquoi éloigner tes enfants d’un métier où on se sent si utiles ? Pourquoi ne pas laisser tes enfants se dire en allant au boulot le matin « à mon échelle, toute petite certes mais c’est déjà ça, j’agis sur l’obscurantisme, sur le savoir vivre ensemble et peut-être, peut-être que j’arrive à ramener sur le bon chemin un, deux, et soyons fous peut-être même trois gamins ! Qui, si l’école les avait abandonnés, auraient pu se retrouver sous la coupe de personnes mal intentionnées… » Ce sentiment de pouvoir agir sur l’avenir, certes à une toute petite échelle, mais agir quand même est tellement valorisant ! Pourquoi en dissuader des jeunes ?

Maintenant, avoir envie de baisser les bras, c’est normal et on y passe tous à un moment ou un autre. Il ne faut pas regretter ces moments ni toi l’article écrit à chaud : il reflète ce que beaucoup pensent et c’est normal : on est des humains, on ressent des émotions qu’on ne souhaite pas forcément ressentir et ces moments-là aussi nous font avancer. Ce qu’il ne faut pas c’est que ce sentiment perdure. D’où mon commentaire, dans l’espoir de réveiller chez toi et chez d’autres ce qui fait que notre métier est un des plus beaux qui soit : éduquer la jeunesse. Alors oui, dans cette optique, je veux bien que tu copies mon commentaire dans un de tes articles si tu en as envie. On doit se soutenir, s’épauler, et si une personne relève la tête plus vite que les autres, à elle d’aider les autres à relever la tête aussi. Et si j’ai réussi à toucher une personne, alors c’est déjà super !

Pour ce qui est de la complexification de notre métier, je suis d’accord avec toi mais cette complexification du métier, personnellement, je la constate depuis que je suis prof. Ce n’est pas nouveau. Tu écris si le métier continue de se complexifier ainsi, jusqu’où cela va-t-il aller?Et bien je crois que ça y est : on n’y va plus, on y est. ça fait des années que notre métier se complexifie et vendredi c’est allé beaucoup trop loin. La limite est dépassée. Largement.

Tu sais quoi Claire ? Finalement, maintenant je me sens mieux ! Et c’est grâce à ton post au final ! Merci de m’avoir donné envie de réagir à ton article ! 😉 Et j’espère que ces quelques lignes t’aideront un peu à retrouver la belle confiance en l’avenir qui est la tienne. Je crois qu’on ressent tous la même douleur au fond de nous et comme tu le dis, on doit se serrer les coudes, aujourd’hui plus que jamais.

Soyons fiers de notre beau métier et transmettons cette fierté. Donnons envie aux jeunes de participer à ça, donnons-leur une possibilité d’agir, pas de subir. Notre métier est un métier d’avenir, Claire, et ne laissons pas une poignée de fous à lier nous en dissuader… Ne les laissons pas gagner.

Rhaaaaa mais re-zut, où sont-ils à nouveau passé, ces mouchoirs en papier ??? Pfff, c’est fou ces pollens en automne…

Merci, Nadia. Tu as raison, notre métier est métier d’avenir, plus que jamais : l’avenir de nos jeunes.

Retournée comme une crêpe !
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L’après confinement scolaire, par Véronique Decker

Sur le Café Pédagogique, un article propose la vision de l’après-confinement scolaire de Véronique Decker, professeure des écoles et directrice en Seine Saint-Denis, militante pédagogique (et dont l’ouvrage Trop classe ! est en téléchargement gratuit sur le site de l’éditeur).

La tête dans le guidon, voire même dans les guidons de plusieurs vélos en même temps, les enseignantes jonglent entre les envois de travaux, de jeux, de vidéos pédagogiques, de conseils d’émission de télévision, et des tentatives de classes virtuelles qui se heurtent en banlieue à deux écueils majeurs : la suroccupation des logements qui font qu’il n’est plus possible d’entendre ce que dit Souleymane, car ses deux frères se chamaillent et hurlent derrière lui, que la télé est restée allumée, et le fait que la plupart des enfants ne disposent que d’un téléphone portable pour faire lien avec ce qu’envoie l’enseignante. Le gouvernement est en train de mettre en place des envois de travaux par courrier, mais le temps que les codes arrivent puis que la poste relaye, alors que désormais les facteurs ne passent pas chaque jour, beaucoup d’enfants des cités auront déjà décroché. Jessica, qui ne savait lire qu’à peine, ne lit plus du tout et préfère s’occuper de son petit frère et regarder la télé avec maman.

Madame Decker rend ensuite un très bel hommage aux enseignants, qui essaient de surmonter les difficultés techniques, de compenser par eux-mêmes l’absence de formation aux nouvelles technologies et aux nouveaux moyens de communication, et qui eux-mêmes sont souvent parents et soutiennent leurs loulous.

Les parents réalisent qu’il est difficile d’être enseignant, qu’il faut de la patience et de l’autorité pour mettre les enfants au travail et cela les a rapprochés.

Et après, alors ?

Or le gouvernement, avec le dispositif « vacances apprenantes » semble bien mal parti, puis qu’il propose de l’aide par internet, aux élèves qui sont déjà connectés. Il faudrait précisément organiser l’inverse, et attendre la fin du confinement pour aller rechercher ceux qui ne peuvent pas communiquer virtuellement. Un peu comme le dispositif « devoirs faits », sur lequel le gouvernement a beaucoup communiqué l’an passé, mais sans dire qu’il commencerait en novembre, deux mois après le début des devoirs, pour d’arrêter en mars, non par en raison du confinement, mais parce que les crédits alloués étaient déjà consommés.

Je suis bien d’accord.

Il faudra former à la différenciation, et sans doute donner enfin plus à ceux qui ont eu le moins en installant de nombreux dispositifs « plus de maîtres que de classes » en élémentaire et des heures de demi-groupe en collège et en lycée pour donner plus d’heures aux élèves qui auront le plus souffert scolairement du confinement. Il faudra rétablir de véritables RASED implantés dans l’établissement ou le groupe scolaire pour construire des ateliers spécialisés pour les élèves qui auront décroché complètement, au-delà de la remédiation scolaire.

Cela amène aussi à une question qui me tient à coeur : la question de l’hygiène, et plus précisément des toilettes. Nous pourrions aussi profiter de la réflexion (enfin j’espère que réflexion il y aura) post-crise pour repenser l’hygiène à l’école. Parce que dans beaucoup d’établissements, les enfants ne disposent pas de locaux sanitaires adaptés : pas de savon, pas d’intimité, parfois des sanitaires sales, pas de papier, des procédures complexes (devoir passer demander l’ouverture des toilettes à des surveillants pour s’y rendre est un véritable obstacle pour beaucoup d’élèves). Je sais que la question est compliquée pour les équipes de vie scolaire et administrative. Mais que des enfants ne puissent pas se laver les mains (alors qu’ils tripotent tout à la demi-pension) et se retiennent d’aller faire pipi toute une journée, c’est intolérable. Madame Decker développe son propos sur ce point, et je trouve ça très bien, car on l’entend finalement assez peu sur le terrain.

Il faudra aussi venir à bout des ghettos sociaux qui redeviennent sources de contamination, et réinvestir la construction de logements publics destinés aux plus pauvres.  Cela paraîtra sans doute le moins important à la rentrée, face à l’urgence d’une rentrée derrière une période dans laquelle certains élèves auront travaillés pendant six mois, été compris, et ceux qui auront eu un grand vide dans lequel violence, suroccupation du logement, anxiété des ressources de la famille et parfois décès de proches auront frappé l’envie de grandir et d’apprendre.

J’ai téléchargé l’ouvrage Trop classe ! de madame Decker. Je vais bouquiner ça pendant les vacances.

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Le confinement : « impensé social et catalyseur d’inégalités »

L’éducateur équitable est un blog que je lis régulièrement : il m’enrichit, il me fait réfléchir différemment, il me rappelle aussi une réalité scolaire que je ne vis plus au quotidien, puisque je n’enseigne plus dans une zone d’éducation prioritaire pour le moment. Le propos est toujours franc et nuancé.

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Le dernier article que j’ai lu est particulièrement frappant. L’auteur s’appuie en particulier sur cet article de Jean-Paul Delahaye (il faut aller le lire dans son intégralité) :

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Jean-Paul Delahaye rappelle d’abord que le monde projeté sur les écrans de télévision est un monde, pas le monde, et surtout pas celui des pauvres. Et il développe, concis et clair comme à son habitude :

Pour les familles pauvres et leurs enfants, le confinement est une catastrophe. D’abord parce que l’école, on l’oublie quand on ne connaît pas la vie de nos concitoyens pauvres, n’est pas seulement pour les pauvres le lieu des apprentissages. L’école est aussi une institution d’aide aux familles, un premier recours face aux situations de détresse sociale, un point de médiation entre les familles et les organismes chargés de la politique médicale et sociale pour la prise en charge des enfants, un lieu où s’élaborent des solutions grâce à l’engagement et à la vigilance des personnels de l’éducation nationale. C’est tout cela qui disparaît avec la fermeture des écoles.

(…)

Cette crise est en réalité un cruel révélateur des inégalités sociales et territoriales à l’œuvre dans notre pays. Quand les politiques publiques ont laissé se creuser de tels écarts de richesse et se concentrer au même endroit des élèves en grande difficulté sociale ou victimes de la ségrégation ethnique, il est plus difficile de créer une dynamique pédagogique. (…) L’Éducation nationale, pour reprendre les propos de Condorcet ne saurait être une «espèce de loterie nationale» pour les enfants du peuple. Et c’est à l’État de garantir à tous les enfants une égalité des droits sur l’ensemble du territoire.

Le CPE équitable, lui, s’interroge : comment « continuer « à maintenir en vie » cette relation qui s’est dématérialisée» ? Il expose des dispositifs mis en place pour essayer d’attraper tous ceux qu’on peut, et met des mots pile sur ce qui fait mal :

J’ai le sentiment qu’il s’agit aussi, pour l’institution, de se donner bonne conscience. J’ai une famille, par exemple, arrivée récemment en France, ne comprenant que très peu la langue française et que j’ai réussi à joindre par l’intermédiaire d’une de leur voisine. Celle-ci m’a expliqué que cette famille essayait tant bien que mal d’aider leur fille en lui faisant faire des mathématiques et qu’elle ne possédait pas d’outils informatiques. J’ai expliqué à la voisine que les parents pouvaient se déplacer au collège pour récupérer une tablette, mais sans un accompagnement comment s’y prendront-ils ?

Pierre Perier qui a travaillé sur les familles populaires explique que cette situation va accroître considérablement les inégalités : « Je pense qu’on va avoir un effet catalyseur d’inégalités avec la situation actuelle et une accélération de ces inégalités. Les familles populaires vivent souvent dans des espaces réduits, avec la difficulté à dégager du temps pour le travail des enfants, avec des emplois précaires et sans les outils ou la maîtrise des outils pour les apprentissages. Les inégalités s’ajoutent les unes aux autres. On ne transfère pas seulement à ces familles les devoirs à faire, mais toute la responsabilité des apprentissages. Impensé social et catalyseur d’inégalités : voilà les deux traits dominants de la situation de confinement »source.

Sans compter les problèmes dramatiques liés à la protection de l’enfance.

Comment se passeront les jours d’après ? Alain Pothet, IA-IPR dans l’académie de Créteil, a parfaitement résumé dans un tweet les objectifs de sortie du confinement dans le domaine éducatif : « Non seulement il faudra prendre le temps de l’écoute et de l’émotion, mais aussi penser une pédagogie du retour qui sera attentive à restaurer le lien social indispensable aux apprentissages »source.

Et ceci doit nous porter et nous guider aussi hors éducation prioritaire : mon établissement n’est pas en REP, mais des élèves souffrent, et ressentent une anxiété insupportable, voire « de l’angoisse », comme me l’a expliqué hier, la voix étranglée, une petite élève de sixième sans internet. Dans les établissements dits favorisés, n’oublions pas que beaucoup d’élèves ne le sont pas. Certains font comme si, arrivent à se connecter, mais pas à vraiment travailler (c’est déjà ça, il y a du lien ; mais comment le vivent-ils ? Que ressentent-ils ? Est-ce un gain au final ?), d’autres fanfaronnent pour masquer ce qui est bien une exclusion. Ces enfants, et leurs familles, risquent de rester invisibles, de se fondre dans le paysage, tout en transparence. Au milieu d’enfants favorisés, il ne nous faudra surtout pas les oublier. Exactement comme l’écrit Alain Pothet : avec respect, avec attention, avec efficacité.

On n’a le droit à aucun pourcentage de perte. Zéro, c’est ça l’objectif. 100% tous ensemble. Nous devons aller chercher chacun de ces enfants. Et pour le moment, c’est bien frustrant. Mais nous faisons ce que nous pouvons, ce que nous devons, à fond, tous, avec des réussites bien différentes selon les contextes. Nous continuerons, car nous sommes enseignants.