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L’ennui en classe

Sur Etre prof, Geoffrey Boulard, professeur de sciences humaines & sociales et psychopédagogue clinicien spécialisé dans les apprentissages en milieu scolaire, a écrit un article sur l’ennui à l’école.

Selon Geoffrey Boulard, l’ennui que manifestent certains élèves « peu impliqués »est un système de défense destiné à protéger la confiance et l’estime d’eux-mêmes. L’ennui provient de la confrontation à des tâches trop faciles, ou au faut que l’élève ne sait pas comment faite mais n’ose pas le dire, ce qui est, selon Thérèse Bouffard, professeure au département de psychologie de l’université du Québec à Montréal, l’illusion d’incompétence scolaire, qui fait se sentir impuissant et démotive.

La motivation est un phénomène dynamique qui tire sa source dans des perceptions que l’élève a de lui-même et de son environnement, et qui a pour conséquence qu’il choisit de s’engager à accomplir l’activité pédagogique qu’on lui propose et de persévérer dans son accomplissement, et ce, dans le but d’apprendre.

Rolland Viau

Geoffrey Boulard rappelle tout d’abord que montrer aux élèves qu’on a confiance en leurs capacités est la base : forcément, si on leur renvoie une image dépréciée, il va être difficile pour eux de trouver les ressources pour surmonter le regard de celui qui demeure à leurs yeux expert. Il conseille aussi de développer le travail sur l’erreur et d’expliciter les attendus en matière de comportement face au travail. Geoffrey Boulard propose aussi, pour aider un élève qui s’ennuie, de réaliser avec elle ou lui une « pause métacognitive », pour verbaliser son état présent. Le but est d’amener l’élève à réaliser qu’il y a des stratégies qu’il n’a pas mises en place et qui pourraient l’aider.

C’est un thème très intéressant, l’ennui : moi-même je me suis beaucoup ennuyée en classe et dans ma vie d’adulte de nombreux contextes me placent dans une situation d’ennui, si je ne réagis pas. Mais en effet tout est là : réagir, trouver des moyens, des méthodes, des gestes qui suscitent de l’intérêt en soi. J’y suis bien arrivée à l’école, tout au long de ma scolarité. J’ai développé un grand univers intérieur et tout est source d’intérêt, à force, pour moi, même si c’est souvent associé à une grande fantaisie, la plupart du temps tue, sans quoi les personnes autour de moi vont me prendre pour une gentille illuminée. Cependant, même tue, cette fantaisie m’apporte, car elle est comme de l’énergie, des idées, des intuitions dirigées vers des tas de projets. Lorsque j’ouvre les vannes et que je raconte à mon mari tout ce qui me vient en tête en tout cas, il me dit que dans sa tête à lui, ce n’est pas comme ça. D’un autre côté, avoir développé ce comportement est très fatigant, car ma pensée m’échappe et part dans tous les sens sans jamais s’arrêter, ou presque : jardiner, bricoler l’apaise, mais pas grand chose d’autre.

Le souci, pour beaucoup d’élèves, est qu’il est difficile de leur faire accepter qu’il existe des solutions, des « trucs », mais que cela dépend d’eux et d’elles : ce n’est pas magique, cela demande une volonté individuelle qui elle-même relève d’un projet (se conformer à la norme scolaire, réussir à l’école, apprendre, n’embêter personne par exemple). Il faut déjà que l’élève soit réceptif à cette idée pour que l’on puisse accompagner l’élève. Un élève m’a récemment dit que sa vie n’était pas assez intéressante. Pourtant, en discutant avec lui, j’y ai vu de nombreux axes passionnants. Mais manifestement je ne l’ai pas convaincu en lui expliquant cela.

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A la limite du désespoir

Un article de France info relaie le sentiment d’abandon et d’abattement des collègues de lycée professionnel des spécialités qui disparaissent subitement. Les collègues sont incités à « se réorienter », à passer des concours, mais n’en ont pas forcément l’envie ou l’énergie. Quant à l’idée saugrenue de devenir professeur des écoles, elle montre bien une méconnaissance des réalités : enseigner à l’école est un métier très particulier, qui demande des compétences et des savoirs particuliers également. Ce n’est pas parce qu’on a déjà parlé à un enfant qu’on sait lui enseigner des savoirs fondamentaux et interdisciplinaires. Nos collèguesvivent dans une angoisse destructrice ce bouleversement de carrière, auquel rien ni personne ne les a préparés. Il n’est aujourd’hui même pas possible de savoir combien de collègues se trouvent dans cette situation.

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Les filles et les maths, post réforme du lycée : la cata

Mélanie Guénais, de la SMF (entre autres), a souligné l’ampleur de cette catastrophe il y a quelques jours :

Il y a un effondrement de l’apprentissage des maths par les filles, suite à la réforme du lycée, que nous avons dénoncé au sein des collectifs de chercheurs.

Il faudrait une réflexion de fond, dans un temps suffisant, qui prenne en compte les retours des différents acteurs liés aux maths et à leur enseignement. Une réflexion qui ne soit pas immédiate, ni liée à des effets d’annonce. Une réflexion menée par des personnes qui acceptent de modifier leur point de vue, qui s’ouvrent à la question « les maths, à quoi ça sert ? » pour comprendre que non, sans culture mathématique suffisante, on n’est pas en mesure de bâtir une société qui tient debout. On peut toujours se raconter que « moi je n’ai pas fait de maths et je suis parvenu ici ou là », c’est simplement une attitude classique de déni. On peut se convaincre que bien d’autres champs culturels sont inutiles, ce n’est pas pour autant que c’est vrai.

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Entrer dans le métier ?

Laure Etevez, que je suis avec attention car ce qu’elle publie m’intéresse et me fait cogiter, a écrit deux tweet qui m’ont touchée :

Alice Ernoult a répondu à ce tweet par la question qui me venait : « peut-on résister de l’intérieur ? » J’espère. Mais sans doute à la mesure de la classe, nos élèves, de façon hyper locale. Nous n’avons aucune emprise sur la politique éducative et on ne nous écoute pas. Ce témoignage pose aussi la question du format de la formation initiale, mais aussi continue. Et du fait que nous passons notre temps à trouver des solutions-bidouilles, qui valent ce qu’elles valent, nous coûtent personnellement sur tous les plans, pour en même temps nous former, progresser et être là au maximum et le plus efficacement possible pour nos élèves.

Construire les conditions pour produire de belles envolées, pour voir qu’on enseigne, que les enfants apprennent, pour les voir grandir avec nous est une entreprise délicate, et il suffit de peu pour que tout se fissure. Je pense quand même que d’une école à l’autre les choses peuvent varier considérablement. Mais je ne sais pas ce qui relève de l’optimisme viscéral, de la naïveté ou de l’auto-conviction résolue pour continuer de se bagarrer.

Merci, Laure.

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Mais pourquoi le fromage ???

Aujourd’hui, en sixième, nous avons étudié le problème de la raclette :

J’ai déjà proposé une analyse ici. C’est un document qui vient du site Elle à table. Cette situation me permet de bien synthétiser (à mon sens) la proportionnalité en sixième. Et cela permet aussi de faire travailler les fractions. C’est une chouette situation comme j’aime.

Alors donc, la charcuterie est parfaitement proportionnelle. Le fromage, pas du tout : si on part sur 100g de fromage par personne, pour 8 personne on devrait avoir 800g de fromage. Or on en propose au minimum 1 500g, soit le part de 7 personnes. On est presque au double, en fait. Et si on part de 150g de fromage, pour 8 personnes on obtient 1 200g de fromage, à comparer en principe avec la proposition haute pour 8 personnes, soit 2 000g, et on a 8 personnes en plus. C’est hyper bizarre. A côté, la gestion de la charcuterie est mathématiquement rigoureuse. Ce qui m’interroge, c’est cette différence de traitement.

Les explications de mes élèves cette année ont été celles-ci :

  • Les gens veulent pas manger de viande (Non : dans ce cas on n’achète juste pas de charcuterie) ;
  • Le fromage il a une odeur bizarre (???) ;
  • La charcuterie c’est cancérigène, il faut la consomme avec modération (en 6e, je suis impressionnée) ;
  • Le fromage c’est bon ;
  • C’est parce que ça dépend de la taille des patates : avec des petites patates on mange plus de fromage (mèh ?) ;
  • C’est parce que quand il y a plus de gens, les gens qu’on invite en plus ils mangent plus que les autres (les petits ont une logique bien particulière quand même) ;
  • Quand on est nombreux, on mange plus parce qu’on reste à table plus longtemps (ok) ;
  • Quand on est plein, on mange plus parce que même quand on a plus faim on a plus de chance de voir des gens manger et ça redonne envie et nous aussi on donne envie aux autres et ça s’arrête pas (ah oui aussi).

J’aime cette activité, qui est rapide, en plus, et j’aime beaucoup les échanges ensuite pour trouver des explications, et pour contrer ou confirmer des propositions par de vrais arguments.

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La déliquescence du bac

Je me refuse à deviner les intentions de Jean-Michel Blanquer lorsqu’il a porté la mouture actuelle du bac. Pouvoir choisir des disciplines me semble en soi une idée intéressante. Appuyer l’obtention du bac sur le contrôle continu aussi : cela pouvait réduire le stress lié au risque d’accident ponctuel. Mais ça, c’était pour la théorie. Une idée n’est bonne que si elle est déployée de façon raisonnée, réfléchie en fonction des acteurs, des objectifs, des obstacles. Et en pratique, c’est un crash, cette réforme du lycée et du bac. Outre le manque de cohérence du système de spécialités, l’idée du contrôle continu a induit des effets délétères pour les lycéens.

Nos lycéens sont anxieux, à cause d’un système de contrôle continu qui transforme en couperet (pour le bac, mais aussi et surtout pour ParcoursSup) chaque évaluation. Ils ne travaillent plus pour les savoirs ou développer leurs compétences, ils travaillent pour la performance. Aucune réflexion collective n’a été initiée à grande échelle pour réfléchir la gestion de l’évaluation : on est à mille lieues de l’évaluation dynamique des compétences. On prend des photos ponctuelles mais définitives, et voilà. Cela n’a rien d’éducatif. Par l’incompétence du gouvernement, on prépare une génération abimée. On court après le temps, on fait comme si mars ne signait pas des vacances au moins à temps partiel, on s’interroge, jusque sur les sites institutionnels, sur comment occuper les lycéens au troisième trimestre.

C’est un naufrage.

Aujourd’hui, nous apprenons que n’importe quel adulte dans les établissements pourra surveiller le bac. Nous sommes d’accord, surveiller n’est pas compliqué, mais nécessite de vivre certains enjeux, d’incarner un positionnement précis. Il y a des gestes techniques, des points de vigilance précis, des protocoles à respecter. S’ils ne le sont pas, il y aura évidemment des recours justifiés.

Nous apprenons aussi que les élèves pourront arriver en retard, et resteront de sorte qu’ils composent le temps prévu. Cela signifie-t-il que personne ne sortira avant que le dernier potentiel retardataire soit rentré dans la salle ? Car sinon, nul doute que les sujets auront déjà été diffusés, et des éléments de correction aussi. Je ne trouve nulle part cette information : va-t-on empêcher les candidats qui voudraient sortir de quitter la salle d’examen ? C’est pourtant important de façon élémentaire. C’est concret, pratique, bassement matériel. Mais nous autres avons les pieds sur terre, justement.

Alors le débat, parfois violent, de grève ou pas grève du bac, est d’autant plus dommageable : ne se trompe-t-on pas de cible ? Qui a détruit le bac, finalement ? Que signifie-t-il aujourd’hui ? La souffrance des collègues qui penchent pour la grève du bac doit-elle être hiérarchisée, définie comme secondaire par rapport à l’implication des lycéens dans l’obtention du bac ?

Je ne crois pas que ce soit le moment de se déchirer. Les choses sont complexes et délicates, et tous les points de vue se défendent et peuvent se comprendre. Ne dilapidons pas notre énergie et nos capacités d’analyse dans des disputes stériles. En revanche, débattons, discutons. Et luttons.

Et puis quand même, ce débat et ces dissensions ont quelque chose de perturbants : lorsque le lycée professionnel est passé au contrôle continu, on n’a pas entendu grand-chose. Les questions vives de la certification des bacheliers professionnels, leur ressenti, leur vécu, leur réussite n’ont pas été interrogés de façon partagée. En ce moment, la levée de bouclier autour du bac, qu’elle soit autour du dispositif ou autour du déroulement de cette session, ressemble à une lutte de classe. Le gouvernement aurait pu en faire autre chose et éviter ce état de fait, en organisant une réflexion collective. Il ne l’a pas fait, nous mettant par là-même dans une posture philosophiquement et humainement plus qu’inconfortable.

A aucun moment la question ne se pose de façon globale sur ce que c’est qu’éduquer la jeunesse, de quel projet de société veut véhiculer l’école. Formons-nous encore une société, ou des castes plus ou moins influentes ?

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Moins = plus, ah oui, tiens ?

J’ai reçu cette photo de la part d’élèves qui goûtaient ensemble chez l’un d’eux :

Alors ce qui est bien, c’est l’usage du verbe croire, car en effet on est dans le domaine de la croyance, pas du savoir, scrognegneu.

Non mais qu’est-ce que c’est que cette affirmation, et qu’est-ce que c’est que cette utilisation du signe égal ???

Merci BEAUCOUP aux élèves qui ont pris et m’ont envoyé cette photo. On sent que la règle des signes est passée par là… C’est extra !!!

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L’attention aux vulnérabilités des élèves

Pour les Cahiers Pédagogiques, j’ai lu et recensé cet ouvrage de Christophe Marsollier :

J’attendrai que ma recension soit publiée sur les Cahiers avant de la proposer ici. Mais si vous voulez lire un livre utile, clair, pas du tout du tout bisounours mais à juste titre, et qui propose des solutions concrètes, lisez-le. Bon, en même temps c’est du Christophe Marsollier, et jamais encore je n’ai été déçue par ses écrits ou ses conférences. Son ouvrage est hyper argumenté et étayé de sources scientifiques.

Je crois que ce qui m’a plu le plus, c’est la réhabilitation naturelle du mot « bienveillance », galvaudé, décrié, déformé en particulier sur les réseaux sociaux. Oui, la bienveillance est un concept, ce n’est pas creux, c’est élémentaire et nécessaire. Personne n’a dit que la bienveillance c’était de la démagogie. Et surtout pas Christophe Marsollier.

S’agissant des élèves, le comportement des adultes, notamment des enseignants, peut (…) jouer un rôle déterminant vis-à-vis de leur bien-être et de leur réussite.

(…)

Encore aujourd’hui, une majorité de parents et d’enseignants ne mesurent pas la souffrance psychologique ressentie souvent en silence par les enfants, ni les dégâts à moyen et long termes et les comportements symptomatiques provoqués par la VEO qu’ils subissent : instabilité émotionnelle, troubles de la personnalité, agressivité, perte d’estime de soi, timidité, repli sur soi, incompréhension, démotivation, difficulté de concentration, troubles du sommeil, absences scolaires, troubles du comportement alimentaire, décrochage scolaire, tentative de suicide, addictions diverses (tabac, alcool, drogues), etc. La VEO affecte l’estime de soi et la construction du sentiment d’identité de l’enfant. Elle entrave le développement des capacités d’empathie, de penser par soi-même et d’autonomie. Elle limite l’enfant dans ses possibilités d’émancipation et de réalisation personnelle.

(…)

En tant qu’enseignant, l’asymétrie de la relation pédagogique l’oblige sur le plan moral. Elle lui enjoint de faire preuve de déonto-logie, et en cela à respecter des principes (discrétion, réserve, laïcité, dignité, impartialité, neutralité, intégrité, probité) et des valeurs (éga-lité des chances, justice, protection, respect, bienveillance, confiance, inclusion, etc.) qui fondent la qualité du service public. C’est surtout sur le plan éthique, c’est-à-dire sur le plan de la délibération morale, que cette asymétrie doit le conduire à rechercher, à l’occasion de tous les choix et microdécisions qui orientent et pilotent son action, ce qu’il est juste et bien de dire ou d’accomplir pour l’émancipation de l’élève, son bien-être à long terme, sa réussite et son épanouissement personnel. Tout particulièrement, dans les moments où il résiste à son projet, lorsqu’il donne des signes de découragement, de repli, de vulnérabilité, qu’il se perd vraiment.

Le livre

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To be HPI or not to be HPI

HPI, c’est « haut potentiel intellectuel ». Que recouvre vraiment ce sigle ? Pour certains c’est un super pouvoir, pour d’autres un trouble, voire un handicap. On considère parfois l’appellation comme ancrée dans le cognitif, parfois dans le neurologique, parfois dans le psychologique. Pour certain(e)s c’est une chimère, pour d’autres l’explication de bien des comportements, scolaires en particuliers, gênants pour l’enseignant bien souvent.

De ma place d’enseignante, je n’en sais rien. Mon métier ne consiste pas à poser des diagnostiques. Je remarque que les familles qui suggèrent, arguent ou brandissent le HPI dans nos échanges n’ont jamais devant moi évoqué de document médical, de bilan de tel ou tel spécialiste. Je sais bien qu’en général on renvoie à une histoire de QI, mais la nature même et la façon dont les tests sont menés fait débat. De ma place de maman, je constate qu’une de nos enfants, avec son étiquette « autiste à haut potentiel intellectuel », a des compétences très au-dessus de la moyenne dans certains domaines, et très très faibles dans d’autres. Et on nous a souvent dit que ses frères sont HPI, mais comme ça pouf, sans test (que nous n’avons par ailleurs pas demandés) et sans propositions liées à cette affirmation non plus.

Conclusion : ne jugeons pas, c’est compliqué. Faut-il un label HPI ou pas ? Je n’en sais rien non plus.

Ce qui est certain, c’est que nombre d’enfants ont des soucis, des désagréments ou des difficultés à l’école parce que ça se passe différemment dans leur tête (et que ça s’exprime dans les comportements), différemment d’une façon qu’on peut regrouper. Attention, je ne parle que de mon ressenti, de mon expérience, cela n’a rien de modélisant. Mais j’ai là en tête des élèves précis, assez nombreux, qui par exemple :

  • ont une posture corporelle qui varie très vite du petit pois sauteur (« hé, les loulous, je vais vous expliquer un peu la géométrie sphérique ») à l’avachissement (« ça vous dit de résoudre 18 équations identiques d’affilée ? »)
  • posent des questions saugrenues, qui semblent n’avoir aucun rapport avec ce qu’on explique, ou bien des questions dérangeantes, qui paraissent parfois provocatrices
  • dessinent beaucoup
  • manifestent une très grande sensibilité
  • ont, au moins au collège, un goût prononcé et affiché pour le gore, l’évocation de la mort
  • semblent bâcler pas mal leur travail
  • résistent encore et encore à l’envahisseur à justifier et rédiger leurs réponses
  • aiment échanger avec les adultes, mais sont plutôt isolés avec leurs pairs
  • peuvent être insolents avec un grand naturel et l’impression de « juste dire ce qui est »
  • ont des champs culturels très vastes ou très spécialisés

Alors bon, tout ce que je décris au-dessus est très naturel, en fait : l’ennui dû à un cours qu’on juge inintéressant, l’adolescence et le gore et la provoc, la flemme d’expliquer comment on a fait puisqu’on l’a, ce fichu bon résultat, cela décrit la majorité de nos élèves. Oui, mais on pourrait tout de même regrouper des élèves autour de la présence de beaucoup de ces caractéristiques en même temps, et autour de leur intensité. Et de ma petite expérience, il y a une caractéristique qui est vraiment un indicateur : les questions saugrenues et divergentes par rapport au sujet. Vous parlez d’angles alternes-internes, par exemple, et bim, une élève pose une question, urgente manifestement, qui porte sur les freins d’un vélo. Ou bien vous êtes en probas, et paf, un élève vous demande d’imaginer ce qui se passerait chez un poulet si on lui coupait la tête et que patati et patata. Et alors si vous êtes en train d’expliquer les durées en revenant sur les mouvements de la Terre, ou bien si vous parlez d’une vidéo qui analyse une fake new, alors là, wouhouuuu, on s’accroche, ça va tanguer, allez-y les jeunes, même pas peurs de vos questions !

Alors que faire quand on est enseignant, avec et pour ces jeunes ?

Déjà, comme pour tout le monde, rester bienveillant, même si, c’est vrai, ces comportements peuvent sérieusement mettre les nerfs par dessus le tricot. En même temps, pourquoi mettent-ils sérieusement mettre les nerfs par dessus le tricot ? Parce que ce sont des comportements atypiques (mais qu’est-ce que l’ordinaire ?) qui se voient et qui s’entendent, y compris par rapport au groupe classe. L’élève qui rencontre des troubles et est en difficulté silencieuse est finalement considéré comme moins gênant. C’est affreux, mais c’est un fait : celle ou celui qui affiche son ennui, qui interrompt la séance sans cesse, qui semble provocateur, peut sembler menacer l’enseignant. Alors que non, je ne crois pas. Selon comment on le vit, et donc comment on le gère, voire comment on l’explique, comment on le met en lumière avec la classe, on peut réussir à garder de l’harmonie. Bon, ça marche si la classe n’est pas déjà dysfonctionnelle, et si on a posé dès le départ qu’on est prêt à s’adapter et qu’on a des propositions, qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Elles peuvent ne pas être efficaces tout de suite ou ne pas être les bonnes, mais elles ont le mérite d’être là, et c’est déjà pas mal pour les enfants concernés et leurs familles. Cela étant, il faut aussi poser des limites : il y a des règles auxquelles on ne peut pas déroger, quant au respect les uns des autres en particulier, et il y a des moments où oui, tu as une question vitale, mais tu viendras la poser tout à l’heure à la récré, parce que là, tout de suite, j’ai besoin d’arriver à un point précis de ma séance, donc chut s’il te plaît.

Ensuite concrètement, que peut-on proposer ? J’ai diverses solutions qui passent en général par une adaptation en direct, mais qui parfois sont anticipées. Mais rien de fou, je vous préviens…

  • Je prévois des supports différenciés pour les élèves en avance sur une tâche, histoire que les autres puissent prendre leur temps. Les élèves en difficulté ont des adaptations, mais je vais prévoir des énigmes (type problème sans parole en géométrie), des fiches qui abordent des problèmes historiques (Syracuse, etc.), des problèmes de construction, des fiches de l’APMEP de logique (les logigrammes, des problèmes de patates ou des fiches de la brochure programmation) ou sur le thème travaillé avec le groupe, pour faire cogiter et ne surtout pas laisser des neurones gourmands à l’abandon ;
  • Je ne m’arcboute pas quand l’élève est pris d’une frénésie d’aller voir ailleurs. Par exemple, un élève est complètement parti dans sa tête après que j’ai évoqué des systèmes de numération non décimaux, parce que mes anciens de sixième en avaient parlé. J’ai bien vu que c’était peine perdue, qu’on allait se prendre la tête et que mon thème du jour était chez lui déjà bien installé de toutes façons. Alors j’ai sorti les bouquins, je lui ai indiqué quelles pages étudier et je lui ai demandé d’inventer son système de numération à lui. Il a poursuivi chez lui, plusieurs semaines, et au final c’était une expérience vraiment passionnante qu’il a exposée à ses camarades dans un exposé ;
  • Je passe du temps à expliquer pourquoi je veux qu’on me produise des justifications. Cette année, j’ai réussi avec tout le monde (oui oui, tout le monde) dans mes classes, à obtenir au moins quelques explications. Mes pseudo-HPI sont celles et ceux qui ont le plus résisté. Pour réussir, je leur ai sorti une copie (anonyme et datant d’il y a plusieurs années, que j’utilise aussi en formation) et mon référentiel de compétences, et nous avons cherché ensemble les indices qui me permettent d’attribuer tel ou tel niveau. Ca m’a bouloté des récré, cette histoire, mais cet exercice a motivé les élèves concernés et maintenant ils justifient, parfois d’une façon éblouissante. Accessoirement, il leur a aussi montré qu’un prof, ça bosse et ça réfléchit ;
  • Je ne force pas le travail en groupe pour certain(e)s de ces élèves, mais je l’encourage et je l’aménage, et c’est une victoire lorsque ça se passe bien et se pérennise.

Une précision toutefois : presque toutes mes fiches d’exos ou d’activité prévoient des niveaux « objectif dépassé », et toutes et tous mes élèves y ont accès. Soit c’est sur la fiche et chacun(e) pioche par rapport à son niveau, soit c’est sur des supports à part mais j’en ai assez pour tout le monde qui serait intéressé, mais, si j’impose à certain(e)s de les traiter, je n’empêche personne de le faire et je donne l’accès à toutes et tous.

En fait, mon but est « simplement » (mais c’est bien complexe) de faire travailler ces jeunes et de leur enseigner. Cela passe par mes tentatives pour leur donner le goût d’apprendre, entretenir leur motivation scolaire, leur donner envie d’être là, le plus serein(e)s possibles, leur montrer que je les prends en compte. Il y a des hauts et des bas, des aleas, mais c’est normal. Je voudrais favoriser leur capacité à être au groupe, pour pouvoir préparer la suite de leur vie. Mais il n’y a pas de solution unique ou miracle, ou bien je n’en ai pas trouvé. On est à l’articulation enseignement-éducation, en plus, ce qui est toujours un peu inconfortable.