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Faire bouger les lignes

Pour la quatrième année consécutive, je travaille avec Laura, qui est AED en préprofessionnalisation. Je parle souvent de Laura ici, car elle est formidable et m’apporte beaucoup. Elle m’aide à réfléchir, est force de proposition, a l’esprit très structuré et très pratique. Elle a plein d’idées.

Quand l’année dernière j’ai décidé de demander à partir en enseignement adapté, je n’en ai parlé à personne, à part à mes proches, parce que je voulais l’annoncer moi-même à Laura. Je savais que ce serait compliqué, car nous nous étions projetées pour une quatrième année ensemble. Le principe d’AED en prépro est assez formidable : l’étudiant(e) assure un certains nombre d’heures dans l’établissement chaque année, de plus en plus au fil du temps, et sa rémunération augmente aussi. Au départ c’est de l’observation, avec des échanges avec le tuteur, puis on co-intervient, puis on co-enseigne, puis l’AED est en responsabilité des groupes et peut enseigner seul(e). Dans le cas de Laura, sa curiosité et sa grande motivation pour enrichir ses connaissances et développer ses pratiques l’ont amenée à me suivre aussi en formation (où j’étais formatrice), et aussi en classe en école. En plus, elle lit. Beaucoup. Intelligemment. En un peu plus de trois ans, elle a développé une professionnalité de fou. Et un lien fort s’est créé entre nous. Nous ne sommes pas “copines”, nous ne passons pas du temps ensemble en dehors du travail par exemple, mais j’ai une confiance absolue en Laura et travailler avec elle est une chance pour moi. J’espère que la réciproque est vraie, mais je pense lui avoir mis à dipositition pas mal de choses. Elle s’en est emparée. Rien ne l’arrête. En plus elle a des valeurs.

Donc lui annoncer que j’allais finalement la lâcher en cours de route n’était pas facile. J’ai attendu de la revoir en présentiel (avec les examens universitaires, je ne la vois pas pendant quelques semaines parfois). Quand elle est revenue, je nous ai aménagé un moment pour échanger. Mais je connais Laura : je savais qu’elle allait sans doute être sujette à une forte émotion, et je savais aussi que l’inclusion l’intéresse. Après tout, après trois ans en classe ordinaire, pourquoi ne pas terminer, l’année du CAPES, en ULIS ? Cela ferait une super expérience… Je ne voulais surtout pas la forcer, mais j’étais prête à monter au créneau pour essayer de rendre cela possible.

Comme je m’y attendais, Laura a encaissé comme elle a pu, et puis a réfléchi très brièvement avant de me demander s’il n’était pas possible de continuer quand même ensemble. Je lui ai expliqué que cela ne s’était jamais fait, que j’allais changer de fonction et d’établissement, ce qui dansnotre administration un tantitnet rigide place la barre assez haut, mais que j’y avais également réfléchi et que j’étais prête à tenter le coup.

Vous dire que tout a été comme sur des roulettes serait mentir. Du “Ah non, ça ne s’est jamais fait, c’est impossible” initial d’une personne au rectorat (auquel j’ai répondu : “Justement. Profitons-en, innovons. Vous aimez ça, les projets innovants, non ? Et si ça concerne l’inclusion c’est encore mieux !”) au “Mmmmmh, super idée !” des IA-IPR et de l’INSPE, on en a sué. Sans parler de la signature du contrat de Laura, digne d’une saison entière de la sitcom la plus absurde qu’on puisse trouver.

Mais voilà : Laura va avoir sa visite de stage, là, en période 2, dans le cadre du master MEEF et du CAPES de maths, et elle a choisi que cela se fasse dans le dispositif ULIS. Elle aurait pu situer sa visite en classe ordinaire, c’était possible et même facile. Mais au lieu de cela, où elle aurait été comme un poisson dans l’eau, elle va enseigner les fractions à des élèves en situation de handicaps variés, de la 6e à la 3e. Elle a tout bien préparé depuis plusieurs semaines, et améliore, améliore encore, adapte, réfléchit des réponses pédagogiques et didactiques à des difficultés éventuelles.

Ca, c’est un vrai projet inclusif : adapté, ordinaire, peu importe. On enseigne, à toutes et à tous. Je suis super fière d’avoir réussi à trouver des interlocuteurs qui nous suivent et nous ouvrent les portes. Je suis super fière de contribuer au développement professionnel de Laura. Et là où nous aurons gagné, elle, moi, nos IA-IPR et les formateurs INSPE, c’est si cela fait tâche d’huile. Par exemple, je pourrais accueillir des AED en prépro motivés par l’enseignement spécialisé, en quatrième année. Ces jeunes collègues diffuseront une vision inclusive de l’enseignement des mathématiques dans leurs classes ordinaires auprès de leurs collègues, au niveau de leur réseau, parce qu’ils sauront de quoi ils parlent, parce qu’ils l’auront réfléchi, vécu.

C’est une jolie aventure, rendue possible par de belles personnes, et par l’existence du statut d’AED en prépro, merveilleuse idée. Ca fait du bien.

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Se nourrir des expériences

Aujourd’hui, j’ai passé la journée dans le dispositif ULIS de ma tutrice. J’ai échangé avec un perdir, une IEN, un IA-IPR, une CPC, ma collègue-tutrice et mon collègue-mari. A la fin de ce très beau jeudi, j’ai évolué. Je me suis nourrie des expériences, des avis, des mises en garde, des questionnements de chacune et chacun. J’ai pu ainsi faire le point sur ce que j’ai mis en place, ce que j’aurais aimé mettre en place (mais je n’ai pas encore eu le temps ou que j’ai perdu de vue, tant la tâche était déjà ample), ce que je n’ai pas réussi à mettre en place. J’ai réfléchi à ce que je vise, ce que je veux, quelle coordo je souhaite être, quelle activité je souhaite en classe pour les élèves.

Comme souvent, c’est à la maison, en racontant toutes mes aventures et mes réflexions à mon mari que j’ai pu faire vraiment le point et trier pour me projeter. C’est vraiment un luxe extraordinaire que d’avoir pour collègue la personne qui me connaît le mieux, qui comprend ce que parfois je ne comprends pas encore moi-même. J’ai aussi pris conscience du travail déjà engagé. J’ai encore beaucoup à faire, mais je pense que j’ai bien avancé.

Je vais profiter à fond de la dernière semaine de formation pour cette période, puis des vacances, mais je vais aussi rentrer avec allégresse, forte de mes projets.

Quelle aventure motivante, de devenir coordo ULIS ! Et que c’est chouette de pouvoir me remettre en question, apprendre, réguler, interroger, et me nourrir des expériences des un(e)s et des autres !

Activité en ULIS, écho à mes questions existentielles
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Les écrits dans la résolution de problèmes au cycle 3

Ah, voilà une nouvelle qui me réjouit : le parcours pour l’E-inspe, sur lequel je travaillais depuis longtemps, Les écrits dans la résolution de problèmes au cycle 3, est en ligne. Séverine Chevé et Isabelle Renault ont travaillé dur à rendre concret, pertinent et facile à suivre ce parcours, à partir de mes propositions. Elles ont été top et je les remercie de leur bienveillance, de leur patience, de leur ouverture d’esprit et de leur professionnalisme.

Ce parcours m’est cher car c’est un thème au coeur de l’égalité des chances, au confluent des fondamentaux, et qui aborde deux des objectifs de l’activité mathématique : résoudre des problèmes et transmettre, échanger. Il a demandé beaucoup de temps et de travail. Je suis fière du résultat.

Mais ce parcours ne serait pas aussi fidèle à ce que cherchais sans les apports de celles et ceux qui le nourrissent : le chercheur Richard Cabassut, l’IEN Karine Sonn, et Aline Mollien, Nourdin Témagoult, Arnaud et Julien Durand, enseignants. Ces professionnels sont aussi des personnes qui m’ont apporté et m’apportent encore beaucoup. Je suis très heureuse qu’on m’ait laissée faire appel à elles et eux. On retrouve aussi explicitement des références à des guides institutionnels, comme sur la résolution de problèmes, mais pas seulement, et mon expérience en formations au PNF et en constellation grâce au plan Villani-Torossian m’a bien nourrie.

Tout ça pour dire que voilà, c’est bien un parcours que j’ai construit à ma façon, et c’est super chouette. J’espère qu’il pourra aider celles et ceux qui cherchent des billes sur ce sujet. Comme d’habitude, je prends toutes les remarques, critiques, et puis aussi les avis sympas…

Je l’ai visionné, bien sûr, et quelque chose m’a frappée : j’ai une super sale tête. En effet, me suis-je souvenue, j’avais près de 40°C et je ne me sentais pas bien du tout pour la courte partie tournage. Mais nous avions déjà eu des reports pour d’autres raisons, il y avait des blocages routiers partout qui compliquaient la venue de la super équipe de tournage, alors zou. En tout cas, heureusement que j’avais écrit mon texte avant…

Ce coup-là, c’était la grippe. Et aujourd’hui j’écris cet article avec le Covid… Décidément ! Mais pu importe : aujourd’hui le parcours est achevé et prêt à être utilisé ! 😊

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L’école, un fardeau ?

Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, a écrit aujourd’hui une tribune dans Le Monde.

Comme toujours, Jean-Paul Delahaye a un propos clair et argumente, grâce à sa très grande culture du système scolaire et de l’histoire de l’enseignement. Pour commencer, il reconnait un état de lieux inquiétant dressé par les évaluations nationales et internationales, et précise d’emblée que “l’engagement professionnel des enseignants du premier degré n’est absolument pas en cause ; ils sont les premiers à vouloir la réussite de tous les élèves et à être désolés de ne pouvoir y parvenir de façon satisfaisante”. Merci monsieur : nous travaillons dur, en effet.

Selon Jean-paul Delahaye, le désastre actuel s’est construit sur des décennies de choix politiques de tendances variées.

Notre pays marche sur la tête : nous dépensons beaucoup plus que les autres pays européens pour la fin de la scolarité, le lycée, et moins pour l’école primaire. Nous avons ainsi des effectifs plus chargés qu’ailleurs en maternelle et en élémentaire, et nos enseignants y sont scandaleusement sous-payés. On peut difficilement faire plus mal.

Jean-Paul Delahaye

Par exemple, l’organisation de la semaine de classe n’est pas pensée dans l’intérêt des élèves. Jean-Paul Delahaye a cette remarque percutante :

En France, le temps scolaire est considéré par les adultes comme un fardeau dont il faut se débarrasser en le concentrant sur un minimum de jours.

Jean-Paul Delahaye

Je n’avais jamais envisagé les choses ainsi ; mais en effet, cela donne déjà une image terrible de la façon de penser l’école en France, de sa place dans les familles, de l’image des savoirs transmis par l’enseignement, et de la déconsidération de notre métier. Les doléances de certaines familles quant à l’emploi du temps de leur enfant et l’obsession des remplacements vont aussi dans ce sens, en fait.

Jean-Paul Delahaye relève aussi la diminution de la formation initiale, “une formation continue totalement sinistrée”, la structure administrative du pilotage ministériel et local de l’enseignement primaire et la modification des équilibres territoriaux.

Il faudrait qu’on nous explique comment on peut améliorer les résultats des élèves de l’école primaire en payant et formant si mal leurs enseignants, et en leur infligeant un temps scolaire absurde et néfaste.

Jean-Paul Delahaye

La tribune de Jean-Paul Delahaye permet de prendre du recul et de réfléchir, en se détachant des évaluations institutionnelles qui prennent tou l’espace médiatique, et en considérant la question de l’éducation à l’école dans sa globalité et son histoire. je vous en conseille la lecture intégrale, car je n’en retranscris que quelques points.

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1/2, mais de quoi ?

Un article du Monde en date du 2 octobre 2023 revient sur la note d’alerte du conseil scientifique qui s’inquiète du niveau en mathématiques des élèves de sixième. Comme j’y apparais, voici quelques précisions pour compléter ce qui est rapporté de mon propos. Sylvie Lecherbonnier, l’auteure, ne l’a pas trahi du tout, mais forcément il est très très raccourci, c’est le jeu. Alors je développe un peu ici.

D’une part, comme le dit Charles Torossian : « Les difficultés autour de ces deux notions ne résument pas les connaissances en mathématiques des élèves à la fin du primaire. » Je suis bien d’accord. En outre dans ces évaluations il y a aussi l’influence de la lecture. Un de nos gros soucis est actuellement la difficulté qu’ont beaucoup d’élèves à décoder et comprendre l’écrit : pour pouvoir faire des mathématiques, comprendre l’écrit est souvent indispensable. Ensuite, comme le revendique Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’APMEP, le rôle de la formation est essentiel, et justement la formation continue en prend un coup dans les chaussettes, en cette rentrée.

Mais surtout, que “22 % des élèves placent correctement la fraction ½ sur une ligne graduée de 0 à 5” est normal au vu des programmes. Je ne pense pas qu’à ce stade on puisse déduire de ce seul indicateurs qu’« A l’entrée en 6e, la plupart des élèves ignorent le sens des fractions les plus simples ». Ils savent ce qu’on leur a appris. Voici un extrait des repères de progressivité du cycle 3, sur les fractions :

Comme on le lit ici, jusqu’au début de la 6e les fractions sont considérées dans le cadre du partage de grandeurs. Rien de surprenant donc à ce que les élèves se trompent à cette question :

Celles et ceux qui répondent 2,5 font directement appel au partage, et les autres répondent avec les moyens du bord, parce que tout simplement elles et ils ne savent pas. De même, comme je l’ai déjà écrit ici, le statut de la virgule, comme celui de la barre de fraction, sont complexes, alors que jusqu’ici les élèves n’écrivaient les nombres qu’avec des chiffres, sans autre symbole.

Ce n’est qu’en période 3 de la classe de 6e que la fraction acquiert vraiment son statut de nombre. Et cela ne peut pas être immédiat ; la preuve d’ailleurs est que beaucoup d’adultes répondent 2,5 à la question ci-dessus. Ce n’est pas parce qu’ils sont incultes et idiots. C’est parce que c’est authentiquement difficile ! Jusqu’à la moitié de l’année de sixième (au mieux) la fraction est vue comme une proportion de quelque chose. C’est tout de même hyper compliqué de devoir transformer si vite sa compréhension d’une notion relativement nouvelle. C’est pourquoi je pense que la fraction pourrait être vue longtemps avant, sous l’angle du partage, pour déjà développer le lexique, accoutumer aux mots et aux représentations. En 6e, on pourrait peut-être plus facilement passer à la fraction nombre.

Mais attention : je ne remets pas en cause le fait qu’il y a un problème dans l’acquisition des savoirs et des compétences en mathématiques. Cela fait même un gros bout de temps que nous alertons, avec l’APMEP. Ce que je voudrais voir davantage discuté, ce sont les indices, les indicateurs, la nature des preuves. Car il ne s’agit pas de défendre le point de vue d’untel ou d’unetelle pour ensuite imposer sa méthode ou sa doctrine. Il s’agit de faire progresser une société.

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Nous, formateurs, ne formerons plus…

Une pétition contre les décisions du ministère concernant la formation continue a été déposée par l’AFEF, l’association française pour l’enseignement du français. Elle est assortie d’une tribune qui reprend les points saillants de cette évolution délétère :

  • Les absences des enseignants seraient dues à la formation continue : les chiffres disent pourtant le contraire. (…)
  • Le temps de travail des enseignants n’est considéré que du point de vue de la présence devant les élèves. (…) Pour la grande majorité des enseignants, le mercredi après-midi, une partie du week-end et des “vacances” sont consacrés au travail dit « invisible » : préparations, corrections, lectures professionnelles… C’est donc méconnaitre la réalité du travail des enseignants que de s’imaginer que le temps hors scolaire est nécessairement du temps libre !
  • La conception de la formation sous-jacente interroge également. (…) Cette atomisation ne pourra que réduire l’action des formateurs à une information magistrale des « bonnes pratiques » inventoriées par le ministère, sans que les formateurs ne puissent réellement proposer de temps d’appropriation, de réflexion sur les propositions de chercheurs en didactique. 
La tribune dans son intégralité

Je vous invite à lire l’intégralité de cette tribune. La pétition associée est ici.

Avec l’APMEP, nous avons rédigé aujourd’hui un édito tout à fait convergent, qui sera bientôt en ligne ici.

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L’urgence républicaine ???

Un article de l’Obs rapporte les nouvelles annonces pédagogiques de monsieur Attal.

Abolition des « textes à trous », test de rédaction à l’entrée en 6e, concours d’écriture : le ministre de l’Education nationale Gabriel Attal a présenté ce vendredi 15 septembre des mesures pour améliorer la maîtrise de l’écrit chez les élèves, une « urgence républicaine » selon lui.

L’article du Nouvel Obs

Je vois plutôt comme urgence républicaine de donner accès à la compréhension de notre monde aux jeunes, et de détruire les inégalités accrues par l’école. « Nous avons un devoir d’exigence et d’excellence », affirme monsieur Attal, et je partage complètement son propos. Mais ce n’est pas en se focalisant sur la façon de former ses lettres que nous allons “relever le niveau”. Oui, ce serait chouette que tous nos élèves sachent écrire de façon fluide, harmonieuse et correcte. Mais ce n’est pas le cas du tout. Et le problème est d’ampleur, car c’est un problème de société. Alors soit on se dit qu’on va obliger tout le monde à écrire, sans se soucier des capacités réelles de ces enfants (et on va les épuiser, ce qui les empêchera de réfléchir et les dégoûtera des savoirs, qu’ils penseront impossibles à atteindre), soit on s’adapte, ce qui est la clef pour emmener chacune et chacun le plus loin possible, en respectant les individus et en se donnant la possibilité, ainsi, d’être véritablement exigeant.

Abolir les textes à trous est un moyen sûr de faire échouer mes élèves d’ULIS, par exemple. Mais ils et elles ne sont pas les seuls à ne pas pouvoir écrire comme l’aimerait notre ministre. Et même parmi les élèves “ordinaires” sans notification de besoins particuliers, on en trouve pour qui cela serait une souffrance. A part accroître encore les écarts, je ne vois pas à quoi servirait une telle mesure. C’est bien dommage : certes beaucoup de mes élèves écrivent difficilement, douloureusement ou de façon illisible, mais ils et elles raisonnent. Les privera-t-on d’exercer leur intelligence, tous ces jeunes, au nom d’un objectif aussi superficiel, à une époque où écrire à la main est de plus en plus rare et peut être contourné sans difficulté ou presque ? Attention : je ne prône pas du tout d’abandonner l’enseignement de la graphie, de l’orthographe et de la grammaire. Je ne souhaite absolument pas la disparition des travaux de compréhension et d’invention d’écrits. Je voudrais une réflexion en profondeur, la recherche de sens, une stratégie humaniste, au long terme, pensée avec nous, enseignants, qui savons ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons, et au bout faire progresser le plus possible tout le monde : les coureurs de fond comme les sprinteurs. Et aussi les marcheurs, et même ceux qui restent sur le banc : ils ont aussi leur place.

Encore une fois, la source des difficultés est ignorée : tu fais des fautes ? Fais des dictées ! Tu écris mal ? Ecris davantage ! Mais non : c’est enseigner, qui doit être au coeur. Il nous faut du temps, des personnels formés et motivés, des moyens pour permettre à toutes et tous nos élèves de progresser en profondeur. Un tel discours est encore une fois preuve de la méconnaissance de notre métier. Enseigner n’est pas évaluer, ni dresser. L’ “urgence républicaine”, elle est de donner les moyens d’être des citoyen(ne)s éclairé(e)s et épanoui(e)s. Elle est d’émanciper, de permettre de vivre dignement et ensemble, de donner les outils pour réfélchir. Pas de s’arrêter à des faux semblants.

Ca me rappelle un prof de sport au collège, qui, lorsque j’avais une crise d’asthme, me disait : “Mais respire !” alors que j’avais besoin de ma ventoline, à court terme, et de poursuivre ma désensibilisation, à plus long terme. Il aurait pu, en amont, chercher à m’amener aux mêmes activités de façon adaptée. Pour cela, il aurait fallu anticiper et réfléchir, plutôt que de réagir de façon simpliste, en s’énervant parce que ça le stressait que je ne respire pas. Et moi, j’aurai eu confiance. Je ne me serais pas détournée du sport pendant si longtemps, et j’y aurais pris plaisir, même.

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L’uniforme à l’école : tout est dans la tête

Claude Lelièvre a été interviewé par le Café pédagogique dans un article publié aujourd’hui, 11 septembre 2023, sur l’uniforme. Les questions vestimentaires sont en effet omniprésentes en cette rentrée, occasion de consolider une ratatouille populiste tout en tenant de se donner la possibilité d’esquiver des sujets bien plus importants. Par exemple, une enquête réalisée dans 500 établissements par le SNES indique qu’il manque en moyenne au moins un enseignant dans 48% des collèges et lycées de métropole.

Revenons à ce fameux uniforme et aux chimères qui lui sont attachées. Dans l’interview du Café, Claude Lelièvre rappelle qu’il n’y a jamais eu d’uniforme à l’école primaire. Il y a eu des blouses, pour se protéger des tâches d’encre, mais elles étaient variées et utilitaires, dépourvues de “message républicain”. Il y a eu des uniformes, dans certains établissements privés et dans des établissements publics chics. Ils étaient choisis par l’établissement et visaient avant tout à revendiquer son appartenance à cet établissement. A s’en vanter, même. Il n’y a pas non plus d’idée républicaine là-dedans, ni d’idéal d’égalité…

La seule période où il y a eu un uniforme identique porté par des élèves de l’enseignement secondaire dans un ensemble d’établissements publics est celle du Premier Empire, dans les lycées qui avaient été créés en 1802 par Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul. A noter que seuls les internes étaient concernés, mais pas les externes…

Claude Lelièvre

Et pourtant, on nous parle de “retour” à l’uniforme, de façon régulière et récurrente, au mépris de la réalité historique. L’uniforme gommerait les différences sociales, religieuses ou ethniques. Pourquoi gommer les différences ethniques, je l’ignore d’ailleurs. Et puis c’est faux : les différences sociales ou éthiques ne seraient pas gommées. Quant aux signes d’appartenances religieuses, déguisés en écoliers interchangeables ou pas, nos élèves peuvent toujours les afficher. Claude Lelièvre qualifie tout ceci de supercherie, et c’est même un trop joli mot pour ce qui se passe, qui est bien plus vulgaire.

C’est croire in fine que ce que l’on porte sur soi ou sur la tête l’emporte sur les enseignements, sur ce que l’on peut avoir en tête.

Claude Lelièvre
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Mais quel choc ?

Après le choc d’attractivité qui n’a pas eu lieu, une désolante tentative de choc de diversion avec cette histoire d’abaya, voilà un nouveau non-choc annoncé : le choc des savoirs. Ca fait peur, un peu, le choc des savoirs. En même temps, j’ai déjà ressenti une impression de choc en acquérant une nouvelle connaissance, avec bonheur, mais c’est un peu violent, comme image, appliqué au quotidien des enfants à l’école. Toutefois le ministre a ajouté que c’est « La condition absolue de la réussite et de l’épanouissement de nos enfants ». Il mentionne l’épanouissement, c’est déjà ça.

Ce choc des savoirs s’applique aux savoirs fondamentaux. C’est rigolo, parce que personne ne sait que sont les fondamentaux, au fond. C’est une espèce de concept basé sur un chimérique bon sens, censé être partagé et consensuel, mais pas du tout : tout le monde en parle et discute, mais personne ne pense à la même chose. Ni sur ce qu’est lire, ni sur ce qu’est compter. Pas grave : ça fait du bruit et on fait comme si on était tous des spécialistes, il paraît que c’est satisfaisant.

Les CM1 doivent lire des textes longs et les CM2 écrire un texte au moins une fois par semaine. D’accord, mais ça, c’est l’objectif. Les enseignants n’ont pas attendu pour emmener leurs élèves le plus haut possible. Le chemin, c’est quoi ? Un guide sur l’écriture va arriver, et c’est une bonne nouvelle car au vu de ceux que j’ai lus sur d’autres thèmes, ces guides sont de qualité. Mais pour réussir à valider ces objectifs et d’autres, il faudrait surtout que l’opérationnel suive : des formations de qualité, des horaires de travail stables et raisonnables, des budgets pour équiper la classe en bons matériels et en ressources efficaces, des moyens pour différencier comme il faut… Ce que nous attentons avant tout, c’est une écoute active, pour prendre nos besoins en compte, en nous reconnaissant comme les professionnels consciencieux que nous sommes. Nous savons des choses, nous faisons un vrai métier. Ecoutez-nous !

D’autres pays, notamment en Europe du Nord, font la part belle aux compétences psychosociales comme la confiance en soi ou la créativité, quand la France met l’accent sur les savoirs disciplinaires, en premier lieu la lecture et les mathématiques.

Ah, pas bête… Source

Bon. En attendant, demain je repars au collège et j’ai la patate. car avec le temps, ces annonces de choc ne m’ébranlent plus du tout. J’ai des choses à faire et de l’énergie à préserver.

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Joyeusetés de la rentrée

Un article du Monde d’aujourd’hui, intitulé “Remplacement des professeurs : le nouveau dispositif ne convainc pas”, revient sur le pacte, les remplacements de courte durée avec ou sans pacte, les “séquences numériques” surveillées par des assistants d’éducation, le tout sans aucune précision supplémentaire ni aucun décret, à quelques jours de la rentrée des perdir. Pour les séquences numériques surveillées par des AED, une des questions qui se posent est de comment faire pour mobiliser des AED à effectif constant et qui ont déjà beaucoup de choses à faire. Et puis il manque des salles info, aussi, à moins que le plan soit de diffuser des vidéos pendant une heure… Interactives ou pas, il est déraisonnable de traiter ainsi les élèves.

L’article explique aussi que l’« autoremplacement » a été exclu du pacte : un enseignant ne peut pas rattraper son heure de cours sur un autre créneau, à moins de le faire sur une absence d’un autre collègue. Pourtant, la plupart des heures annulées sont ainsi rattrapées, actuellement. Tout ceci est assez incompréhensible et montre une nouvelle fois l’absence de lien avec la réalité des établissements. Résultat : personne n’est content, ni les enseignants, ni les personnels de vie scolaire, ni les perdir.

Et puis il est question de la formation, sujet qui me tient à coeur, car je pense que nous avons besoin d’être formés : réactualiser nos connaissances pour améliorer nos pratiques en didactique et en pédagogie, développer nos connaissances scientifiques dans nos disciplines (même en dehors des contenus à enseigner) est pour moi crucial. Améliorer les performances des élèves c’est compliqué, car il y a là des questions de société sur lesquelles les enseignants n’ont aucun pouvoir. Toutefois, nous professionnaliser efficacement davantage ne peut pas nuire à nos élèves… Mais cela exige des offres de formation larges et remplies de contenus réels, solides, portés par des formateurs qualifiés, et dans de bonnes conditions matérielles et d’organisation.

Alors quand monsieur le ministre de l’éducation déclare qu’il n’est « pas concevable que des millions d’heures de formations ou de réunions pédagogiques soient proposées aux enseignants sur leur temps de cours » sans rien proposer pour la formation elle-même (il demande aux recteurs d’y « remédier », donc de refuser les formations sur temps scolaire), je tressaille. Et là je lis dans l’article du Monde :

Le temps moyen de formation dans le second degré ne s’élève cependant qu’à 1,6 jour par an par enseignant. Les convocations pour formation étaient à l’origine de 1,5 million d’heures non remplacées en 2020-2021, selon le ministère, soit moins de 10 % des 15,4 millions qui n’étaient pas assurées.

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1,6 jour de formation…

Ouch.

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Nouveau ministre.

J’ignore pourquoi, mais j’attendais avec de l’impatience de savoir si Pap Ndiaye resterait notre ministre, et si non, qui le remplacerait.

Maintenant que nous savons, cela me semble absurde.

Je suppose que j’aurais pris comme un signal contre ses détracteurs la décision de conserver Pap Ndiaye à son poste. Pourtant, malgré quelques décisions positives, je n’ai pas apprécié son passage. Nous continuons de couler, inexorablement, et les politiques qui décident pour nous ne comprennent pas, ou alors agissent de façon à poursuivre la destruction de l’éducation nationale en toute connaissance de cause. Mais je me disais que, avec les attaques dont il a été récemment la cible, le maintien de Pap Ndiaye aurait signifié quelque chose et aurait pu lui permettre de devenir ministre, d’exprimer une vision potentiellement humaniste, plutôt que hocher la tête derrière un président de la république marionnettiste.

Mais non.

Au lieu de cela, un pur politique qui n’a jamais fréquenté l’école publique arrive et nous parle d’autorité (qu’il confond manifestement avec autoritarisme), de savoirs fondamentaux (que personne n’a jamais abandonnés), d’uniforme (qui n’est en aucun cas un facteur d’égalité). Il nous assène que nous faisons le plus beau métier du monde (mais alors pourquoi n’est-il pas enseignant de l’école publique ?).

Plus que jamais je suis heureuse de m’orienter vers l’enseignement spécialisé : je vais travailler, batailler, créer du lien, enseigner, faire grandir, travailler à un projet de société qui me tient à coeur, mais à ma dimension, celle de ma classe. Dans le respect de ma mission, mais librement, aussi.

Source : le blog de Claude Lelièvre
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Eloge des mathématiques de Jacques Attali

Jacques Attali a publié sur son blog, le 29 juin 2023, un article intitulé :

Alors bon, voilà qui ne peut pas faire de mal : Jacques Attali évoque les “belles joies intellectuelles” que lui ont apporté les mathématiques, ce que je partage. Il nie la bosse des maths, très bien. Il écrit :

Alors, quand on parle de sobriété, il faut se souvenir que rien ne serait plus stupide qu’une sobriété de toutes les activités de l’esprit. Cesser de gaspiller de l’énergie fossile, oui. Cesser de consommer des sucres artificiels, d’acheter des vêtements de la fast fashion, bien sûr.

Mais ne jamais être sobre dans l’acquisition des connaissances, dans la pratique de l’art, dans la conversation, dans le débat. Ne jamais cesser d’apprendre et d’abord d’apprendre des mathématiques.

Source

Evidemment, j’approuve, et c’est bien tourné. Et puis Jacques Attali décrit le “vertige” de la découverte de l’univers mathématique, et le mot est en effet bien choisi.

Mais je suis aussi en désaccord avec certaines lignes du texte de monsieur Attali. J’aimerais bien avoir l’occasion d’en débattre avec lui, d’ailleurs, car l’exercice doit être intéressant et enrichissant (intellectuellement, évidemment) :

  • C’est bien plus qu’une science : c’est une langue, un univers” : un univers oui, une langue je ne pense pas. Je sais que c’est un avis partagé par beaucoup au sein même de la communauté mathématique. Mais si les mathématiques sont associées à des spécificités langagières, le propos me semble réducteur. Un langue est un média, les mathématiques forment un contenu. On peut faire des maths sans en pratiquer les langages : l’activité mathématique impose avant tout de modéliser, d’imaginer, de mettre en relation, et cela peut se faire sans langage. Les liens entre langage et mathématiques sont complexes et forts. Il me semble qu’on ne peut pas faire ce raccourci toutefois.
  • C’est par les mathématiques qu’on apprend à raisonner avec rigueur, à faire des hypothèses, à en tirer des conclusions, à se servir de conclusions antérieures pour aller plus loin, à distinguer ce qui est nécessaire de ce qui est suffisant, à admettre que le vrai peut être différent de l’évident ou de l’intuitif” : joli plaidoyer, mais non.Les mathématiques participent de tout cela, mais il n’y a pas bijection. Débutons la phrase par : “c’est aussi par…”, et là je suis d’accord.
  • En introduction, Jacques Attali écrit “il est urgent de faire l’éloge des mathématiques, cette science difficile, la plus abstraite de toutes, la plus éloignée des réalités du monde“. Ah non, certainement pas. Abstraite, oui, c’est vrai. Mais cette abstraction sert le monde et peut alimenter le concret, directement.

Mais terminons sur un point de convergence entre nous :

Nul ne pourra vivre libre dans le monde de demain sans maîtriser les mathématiques, pour vérifier qu’on en fait le meilleur usage

Source

C’est déjà vrai dans le monde d’aujourd’hui. Et beaucoup d’entre nous vivent aliénés, par l’ignorance des mathématiques et de bien d’autres savoir qui éclairent notre rapport au monde et à nous-mêmes.