Mathématiques et émotions
Un de mes ateliers s’appuie sur l’album Il était une forme. C’est une nouvelle activité, pour moi, destinée au cycle 3. J’ai découvert l’album il y a quelque temps, j’en ai fait quelque chose à l’occasion du Salon des jeux mathématiques et je l’ai testé avant de venir dans la classe de Christelle, en CE1, sans sa dernière partie, difficile pour des élèves de cycle 2. Ca a bien marché.
Sur le stand recherche du Salon, j’ai mis en oeuvre l’atelier Il était une forme, avec des enfants de cycle 3. Je ne savais pas comment cela prendrait, car c’était quand même une nouveauté, jamais déployée en cycle 3, dans un contexte différent. Et puis les élèves de Christelle sont tellement ouverts à tout, quand je viens les voir, que je savais que des choses peuvent fonctionner avec eux et pas avec d’autres.




Bref, je l’ai déployé avec deux groupes de classes assez différentes de CM2. Dans les deux cas, l’atelier a été un succès. Pourtant j’ai senti les réticences de certains enfants au départ : on parle d’émotions, de ressentis, de sentiments, et même si j’insiste au départ sur le fait qu’on peut imaginer quelqu’un qu’on connaît, quelqu’un qu’on ne connaît pas, un animal qu’on aime, pour quelques enfants c’était difficile émotionnellement. Certaines et certains ont foncé tout de suite, ont senti quoi faire, on associé forme et émotion, en étant capable de verbaliser pourquoi et comment. D’autres se sont mis en retrait et je les ai aidés doucement : nous sommes passés parfois par un personnage de fiction, Naruto ayant un grand succès.
Un enfant m’a particulièrement marquée. Il m’a demandé de lui réexpliquer la consigne au moins trois fois. A chaque fois, il m’a dit avoir compris, mais ne s’est pas mis en activité. Il se tenait un peu éloigné de la table, comme pour marquer sa distance. Il était d’ailleurs déjà en marge de l’ensemble du groupe à son arrivée et je l’avais remarqué en ce sens. Je l’ai laissé tranquille un moment, puis je revenais vers lui le plus paisiblement possible. Mais ça ne marchait pas. Je lui ai proposé de représenter des émotions ou des sentiments que je lui proposerai, en m’arrêtant dans la liste que je lui énonçais quand quelque chose lui plaisait. Mais non. Je lui ai proposé de faire le contraire : de dessiner une forme géométrique et de réfléchir, tout seul ou avec moi, à ce que cela pourrait lui évoquer. Mais non.
Et puis à un moment donné cet enfant a écrit dans la partie émotions. Je le regardais de l’autre bout. J’avais envie de bondir à côté de lui, pour voir. Mais j’ai attendu, évidemment. Cet enfant n’avait surtout pas besoin de mes émotions à moi, là. Il a relevé la te^te et m’a regardée, pour la première fois directement, de façon insistante. Alors je suis venue.
Il avait même représenté une forme. Et il avait écrit « Supporter et ne pas ressentir la douleur ».
Puis il l’a effacé.
En partant, il a suivi son groupe, toujours à petite distance. Ils ont disparu de mon champ de vision. Et puis j’ai entendu une petite voix : une enfant du groupe avait rebroussé chemin parce qu’elle avait « oublié de me dire merci ». Elle était toute heureuse de l’activité, toute gaie et cela m’a fait du bien. Juste derrière elle, l’enfant de la douleur se tenait tout droit, s’est un petit peu incliné vers moi et est reparti.
Pfiou.
J’essaie de ne pas tirer de conclusions hâtives de cette histoire : peut-être n’est-ce pas du tout de la souffrance… Mais l’ensemble est tout de même assez bouleversant.