Cette semaine et la suivante vont être riches de projets pour moi, avec des aboutissements sur des thèmes qui me sont chers. Cette semaine, c’est un nouveau dispositif que je teste en coenseignement avec une collègue d’un autre établissement, et le regard de deux chercheurs… J’ai hâte de voir ce que cela va donner !
Juste avant les vacances, nous avons étudié des oeuvres d’Escher pour réactiver la géométrie spatiale et la perspective, cavalière ou pas. Alors merci au Cartographe sur Twitter, car c’est pile pour mes élèves :
Sylvain m’a envoyé cette vidéo, qui malheureusement est bloquée à l’intégration, mais que vous pouvez aller visionner sur Youtube. Le propos de Félix Dhjan est le suivant :
En fait à l’école ils t’apprennent des trucs qui ne marchent qu’à l’école. Exemple dans la vie : admettons tu n’as pas de bananes. Sur ce stock de bananes que tu n’as pas, on t’en retire deux et on les multiplie par deux autres bananes qui n’existent pas. Et ça, ça fait quatre bananes ! Les maths c’est de la magie en fait !
C’est un super bon exemple d’abstraction, que choisit là Félix Dhjan. Expliquer la règle des signes, c’est l’enfer. Cette année, j’ai réussi, je crois, à l’aborder de façon constructive mentalement pour une majorité d’élèves. J’ai écrit ici à ce sujet. Mais en effet, représenter concrètement la règle des signes dans le cas négatif x négatif n’est pas possible de façon pertinente, à mon sens. Ni les maximes à la noix avec les amis des ennemis de je ne sais qui, ni les histoires de découvert ne vont aider. On pouvait encore expliquer pourquoi soustraire un négatif revient à additionner, en jouant et en remarquant qu’ôter un jeton de valeur négative ajoute des points, mais la multiplication de négatifs est encore à un autre niveau. C’est bien pour cette raison que c’est un chouette support pour assumer d’entrer dans l’abstraction et modéliser autrement, en mathématisant uniquement. Ca rend la compréhension délicate, mais c’est aussi un appui pour permettre aux élève d’avancer mentalement dans leur construction des nombres et des relations opératoires.
Félix Dhjan a donc raison de s’insurger et de poser la question de la compréhension de la règle des signes. C’est tellement mieux que d’accepter une recette sans comprendre ! Là où il se trompe, c’est quand il en conclut que les maths n’enseignent que des savoirs d’école : c’est le contraire, l’école n’enseigne que des savoirs qui ont émergé hors école. La règle des signes a des applications très très variées, et ce n’est pas parce qu’on ne peut pas la représenter concrètement ou l’appliquer à des bananes qu’elle n’existe pas. Et puis les mathématiques ne sont pas que scolaires. Par ailleurs, comprendre par une démonstration la règle des signes permet de comprendre un type de démonstration, la force d’arguments logiques bien articulés, et fait envisager le nombre de façon plus complète, plus riche, plus solide. Tout le monde n’utilisera pas consciemment au quotidien la règle des signes, mais ça on s’en fiche : l’important est d’apprendre à mieux réfléchir et penser.
N’empêche, c’est un super exemple, un de ceux qui m’auront résisté pendant bien longtemps pour enseigner.
Nathalie Ayi, Maître de conférences en Mathématiques, reçoit des collègues chercheurs et chercheuses pour des discussions passionnantes. Avec beaucoup de recul et simplicité, ils reviennent sur leurs parcours et les chemins qui les ont conduits à la carrière qu’ils mènent aujourd’hui. Ils livrent leur vision du métier de chercheur et nous racontent avec enthousiasme les maths qu’ils pratiquent et les animent.
En quatrième ce matin, je demande la différence pour les élèves entre statistiques et probabilités. Globalement, ce qui ressort de leurs interprétations, c’est que les probabilités prévoient, donnent une mesure des chances ou des risques d’une expérience pas encore réalisé, alors que les statistiques étudient une expérience réalisée. Apparaît aussi l’idée d’ « idéal » de la proba, contre le prosaïsme des stats. Nous développons et précisons, pour porter une trace écrite dans la leçon. Je finis par évoquer les probas comme modélisation, comme cas limite, comme ce qu’on obtiendrait en réalisant une expérience un nombre infini de fois.
Et là, paf, au fil des échanges, un élève me demande si l’infini est un nombre. Alors bon, que voulez-vous que je fasse ? J’évoque droite réelle et droite réelle achevée…
Un autre élève rebondit : mais alors madame, on peut faire des opérations sur l’infini ?
Un autre rétorque : bah oui, évidemment par exemple l’infini divisé par l’infini ça fait 1.
Ai-je essayé de résister ? Sans doute. Peut-être. Je ne sais plus. Me suis-je retrouvée au tableau en expliquant avec passion les limites à des élèves de quatrième, en combinant allègrement concepts de lycée et vulgarisation pour donner à mes élèves une chance de me suivre au moins un peu ? Oui !
Deux heures plus tard, à la récré, des élèves sont revenus m’en parler. Quelques-uns avaient poursuivi leur réflexion en posant leurs conjectures sur un joli brouillon. Ils avaient bigrement bien raisonné. Un autre m’a dit : « j’ai cru comprendre, mais en fait j’ai rien compris, madame. Je ne vous ai pas suivi , finalement. Tout ce que j’ai compris c’est que les calculs sur l’infini c’est compliqué parce que ça dépend comment on va vers l’infini. Et du coup on ne peut pas dire comme ça paf, ça va faire ça ou ça. »
Pas si mal pour un élève de quatrième qui n’a rien suivi…
Il y a quelques jours, en quatrième, nous avons réactivé le thème des probabilités. Les élèves l’ont déjà travaillé en cinquième : depuis les programmes de 2015, les probabilités sont étudiées mathématiquement dès le début du cycle 4. C’est plutôt un point positif, car c’est un sujet accessible, propice à la modélisation, riche en représentations diverses, en lien avec l’environnement des élèves, facilement appuyé sur le ludique, support intéressant pour développer le langage… Et puis l’étude des probabilités échappe un peu à l’aspect cumulatif des mathématiques scolaires, en demeurant abordable sans pré-requis particuliers jusqu’à la classe de seconde. C’est une respiration bienvenue pour tout le monde, le moment de raccrocher sans peine des wagons. Mais il y a un revers à la médaille : nous, enseignants, nous répétons beaucoup en probas, sans grandes nouveautés sur plusieurs années. En cinquième on découvre la notion de probabilité, mais on peut déjà aller assez loin : on calcule des probabilités dans des cas simples, mais les élèves ont des tas de questions et sont aptes à comprendre au-delà des attendus de leur niveau de classe. En quatrième on modélise davantage, on convoque un vocabulaire plus développé, les situations étudiées sont plus riches. En troisième le lien entre fréquences et probabilités doit être posé, mais on peut l’avoir mis à jour bien avant. Les situations s’enrichissent encore, on utilise le tableur ou la programmation pour alléger les calculs répétitifs ou simuler l’aléatoire.
Alors il y a toujours un risque pour que les séquences de probabilités soient plan-plan, surtout en quatrième. Je n’aime pas trop ça, dans ma pratique, la plan-planitude. J’essaie de ruser en combinant inégalité triangulaire et probabilité, au travers d’une activité que j’aime beaucoup et qui rend les élèves actifs et découvreurs, ou bien nous mettons en œuvre l’expérience des aiguilles de Buffon, ou bien nous nous lançons dans des manipulations qui mènent à des modélisations intéressantes et des utilisations vraiment bienvenues des outils numériques, ou bien nous réfléchissons à partir de l’excellent jeu Avé ! ou de la cible dont j’ai équipé ma classe. Cette semaine, c’est pourtant un exercice de base qui m’a fourni un matériau de choix pour comprendre les besoins de mes élèves et devoir remédier au pied levé, ce qui me réveille toujours joyeusement les neurones.
Nous travaillions un exercice du manuel de classe, avec une situation classique : une urne, des boules de trois couleurs différentes, des probabilités à déterminer. L’urne contenait 20 boules, dont 7 vertes. A la question « quelle est la probabilité d’extraire une boule verte lors d’un tirage aléatoire », je m’attendais au classique « 7 », au prévisible « 7/3 » (car il y a trois couleurs différentes de boules), aux ricanements nerveux de quelques élèves car on parle de boules, ce qui est vraiment trop rigolo. Mais en fait, j’ai obtenu une erreur bien plus délicate :
L’élève, K, qui a résolu l’exercice au tableau a bien identifié les issues de l’expérience aléatoire, a dénombré l’effectif total de boules, a écrit une fraction de façon fort pertinente, et là, paf, a adjoint à son 7/20 un symbole de pourcentage. Lorsque je lui ai demandé de m’expliquer ce qu’il avait écrit, K m’a expliqué : « 7 c’est les boules vertes, 20 c’est toutes les boules possibles, donc 7/20. » Ok, ai-je renchéri, mais tu as écrit « % », après 7/20. « Bah oui », m’a répondu K, « c’est des chances donc faut que je réponde en pourcentages ».
Jolie représentation initiale, mais erronée. Alors j’ai fait appel aux camarades de K pour proposer de remédier à l’erreur de leur camarade, et j’ai globalement fait un flop. 7/20 ou 7/20 %, même combat. Bon bon bon. Le sens du pourcentage n’est pas posé. Les élèves savaient me dire que %, c’est « pour cent », mais que ce soit « sur cent » était un pas qu’ils n’étaient pas prêt à franchir. Ces élèves utilisent le symbole « % » comme un symbole d’unité. Ce qui est intéressant, c’est que toutes et tous, ou presque, savent calculer 50%, 10%, 1% d’une grandeur, et donc, si on leur en laisse le temps, à peu près n’importe quel pourcentage d’une grandeur. Et là, ils donnent du sens à ce qu’ils font. C’est un peu comme si le % avait là une « valeur » différente parce que nous nous plaçons dans le champ des probabilités, comme s’il était une signature des probabilités. Obstacle supplémentaire : K était entré dans sa phase de déception amère et d’auto-dénigrement que je lui connais bien maintenant. Mais je savais que je pouvais renverser la tendance, aussi, car K et moi sommes tous les deux du genre tenace, mus par le même projet : qu’il comprenne. Être tenace ensemble est un puissant moteur pour moi.
Je suis revenue à ce que signifie 7/20 : selon K lui-même, c’est « 7 chances sur 20 possibilités ». Et quand on écrit un nombre sous forme de pourcentage, que cela signifie-t-il ? Qu’« on a 100 possibilités » Mais alors pourquoi écrire ici un pourcentage, si on n’a que 20 possibilités ? « Parce qu’on peut faire comme si, et imaginer qu’on a 100 possibilités en faisant comme si c’était proportionnel ». Ah, c’est mieux, ça, ça m’ouvre une porte. Comment imaginer qu’on a une situation similaire mais avec 20 boules dans l’urne ? « C’est facile madame : on multiplie par 5 parce que 5×20 ça fait 100. Donc on multiplie aussi en haut sinon ça change tout. Ça fait 35/100 ».
Là, moment de suspension. Je vois des regards qui traduisent de la réflexion, d’autres perplexes. J’attends. Je me tais. C’est difficile, ça, pour moi, mais essentiel pour les élèves. C’est K qui reprend « mais madame, ça veut pas dire que ça fait 35%, quand même… » Hé si, 7 sur 20 ou 35 sur 100, c’est la même proportion. J’ai poursuivi sur ma lancée : voyons quelle écriture décimale a 7/20. 7/20, c’est égal à 3,5/10 (qui n’est certes pas une fraction, mais cela ne change rien), soit 0,35. Mmmmmh, 0,35 ? 35 centièmes ? Là, j’ai vu K accepter, parce qu’il recollait tous les morceaux.
Je pense qu’il faudra y revenir ; j’ai encore deux passages par les pourcentages dans ma programmation, ce qui me semble indispensable. Mais K a, je pense, compris, et n’est pas le seul dans la classe : il est passé de son traditionnel « je comprends rien de toute façon j’ai tout faux chuis nul » à « c’est super simple madame, c’est tout, là, y a que ça à comprendre ? », ce qui est un bon présage pour la suite.
Il demeure que c’est intéressant de voir comme certaines notions peuvent être utilisées correctement dans certaines circonstances, y être automatisées, même, et ne pas résister aux transferts vers un autre contexte. Et puis il y a le poids de pseudo-conventions, comme le fait de croire qu’il faut faire référence à des % si on parle probas. Pourtant, il y a sans doute derrière ceci une qualité : faire des liens entre mathématiques scolaires et environnement, avec les données dont sont si friands les médias, la plupart du temps exprimées en pourcentages. Le « de chances » ajouté par K à la fin de chaque ligne va en ce sens. C’est aussi pour ça que nous sommes là, nous enseignant(e)s : pour donner des clefs de lecture et de compréhension.
J’ai pu continuer de re-tester une séance de CE1, et c’était super chouette ! Heureusement que j’ai des terrains de jeux, et des compagnons de cogitation, pour mettre mes idées à l’épreuve : être hors-sol serait tout à fait inconsidéré… Aujourd’hui, en plus, nous avons fait fort du point de vue de l’inclusion. Cela constitue des moments qui font du bien ! Merci Christelle !
Mes bonheurs-ricochets, c’est quand des élèves comprennent quelque chose qui n’était pas l’objectif central prévu, mais que c’est super important. Aujourd’hui, c’était en quatrième. J’avais décidé de déployer l’activité de mon collègue Gani, activité sur la résolution d’équations, qu’il met en oeuvre avec moi en co-enseignement avec une autre classe de quatrième (trop chouette). Avec Laura, nous avions pensé des modifications pour que l’activité s’adapte aux niveaux très variés de ma classe, et corresponde à notre programmation. Je ferai bientôt un article pour raconter cette séance, mais ça va être un peu long à faire et là je n’ai pas trop le temps.
Donc, j’en reviens à mon joli ricochet. Une élève manipule pour résoudre une équation. Elle obtient une représentation matérielle de 2x = 8. Elle demeure perplexe : comment savoir ce que vaut x ? Car cette élève ne possède pas la division, ce qui complique l’acquisition de nouvelles compétences, forcément. Mais comme l’activité permet de manipuler, et que l’élève est vive et pleine d’initiative, elle cogite et je la vois prendre un des cubes de numération composant le nombre 8, et le poser sous un des pions qui représentent x. Elle en saisit un autre et le pose sous le « deuxième x ». Elle recommence jusqu’à épuisement des cubes et m’appelle : « madame, est-ce que ça veut dire que x ça vaut 4 ? » J’acquiesce, et je la vois s’illuminer. « Je crois que j’ai compris, madame. Je fais celle d’après ».
Elle bidouille son équation, et passe de 4x + 2 = x + 17 à 3x = 15 sans difficulté. Ca, les questions d’équilibre, elle a compris. Si j’enlève des unités d’un côté, je fais pareil de l’autre. Si j’enlève un x d’un côté, j’enlève un x de l’autre. Parfait. Avec elle on n’est pas encore à la modélisation par la représentation algébrique, mais ce n’est pas grave : elle donne du sens à ce qu’elle fait et je sens grandir cette énergie en moi, caractéristique de quand il se passe un truc vraiment important dans la tête d’un élève.
Devant 3x = 15, elle recommence ses paquets, unité par unité. Mais elle constitue bien trois paquets. Elle obtient x = 5, et m’appelle à nouveau pour valider. Là, elle me dit deux choses :
Madame, j’ai remarqué quelque chose : c’est parce que 3 x 5 ça fait 15 qu’on a 5 unités pour chaque paquet, non ?
Mais vous l’avez fait exprès, les nombres, là, non ? Parce que y en a jamais qui restent. Comment je ferais s’il y en avait qui restaient ?
Alors nous avons développé : oui, il y a un rapport avec 3 x 5, et comment alors anticiper le résultat avant même de faire la manip ? Evidemment, là, il faut les tables, pour cette élève, sinon c’est trop de paramètres. Mais elle m’a dit elle-même : « Mais madame, c’est ça, la division, non ? On fait des paquets et on cherche combien on met d’unités par paquets ? C’est ça, non ??? » Hé oui. Alors nous sommes parties ensuite sur « s’il en reste » : ça s’appelle effectivement le reste, dans la division, et en effet j’ai fait exprès que le reste soit nul. Nous avons pris un exemple où le reste aurait été de 1 pour 2 paquets, de 4 pour 8 paquets, et nous sommes convenues que non, nous n’allions pas couper mes cubes de numération en deux.
Mais cette élève est repartie super fière, dynamisée par sa nouvelle compréhension de la division et par sa première approche réussie de la résolution d’équations.
Hier, en quittant le bureau de l’APMEP, Jean Fromentin a eu la gentillesse (et l’excellente idée, pour les élèves et moi) de l’offrir sa brochure « jeux de juxtaposition ». Cette lecture l’accompagne donc au petit déjeuner. Et je vais vous en reparler : je n’en suis qu’au tout début que j’ai déjà des envies pour la classe… Il faut dire que Jean est une star du jeux mathématique, lui qui est l’auteur du Curvica !