René Cori nous accueille ce matin pour son passionnant atelier, avec une question en préambule : qu’est-ce que faire des mathématiques ? Pour lui, c’est, pour l’essentiel, observer des objets mathématiques et essayer d’en décrire des propriétés. A première vue, les objets mathématiques sont de nature très variée. Au tournant du XXe siècle, la quête de fondements solides a conduit les concepteurs de la théorie des ensembles à ne considérer qu’une sorte d’objets en mathématiques : les ensembles. Il y a eu quelques problèmes : des gens sont devenus fous, par exemple, ce qui effectivement est un problème. Mais il y avait un inconvénient à ce point de vue : il est contre intuitif parfois. D’où la catastrophe des maths modernes.
Dans une autre théorie de fondement, on considère que tout est fonction, ce qui n’est pas plus intuitif. Dans une autre, tout est catégorie. Qu’en aurait fait Bourbaki, c’est une question qui se pose.

Pour pouvoir utiliser des expressions mathématiques, nous utiliserons, dans la suite, des noms ou des propositions. Exercice, qu’est-ce qui est un nom ou une proposition ici :

Et ici :

Cette fois, 1, 2, 4, 5, 7, 9 et 0 sont des noms. 3 et 6 sont des propositions. Et 8 ? Ni l’un ni l’autre. Ce n’est pas le nom d’un objet, et pas une proposition non plus car on ne peut pas donner de valeur à x. « X tend vers + l’infini n’est pas une phrase qui parle d’un objet mathématique.
Et ici, que se passe-t-il :

La première et la dernière sont des propositions, les autres non. Dans la deuxième, « donc » fait que la phrase n’est pas une proposition, et dans la troisième c’est « soit ».
Alors c’est quoi qui fait qu’on a une proposition (oui, bon, ça pêche dans l’expression mais on est dimanche à 8h50, alors hein bon) ?
- Elle parle d’objets mathématiques et de rien d’autre ;
- Ca a un sens de se demander si elle est vraie ou fausse ;
- On peut formuler la négation ;
- La locutrice est complètement absente de la phrase.
Reprenons les exemples ci-dessus pour la phrase 2 :
- Premier critère : il n’est pas net ;
- Deuxième critère : il n’est pas non plus net dans la 2, mais c’est discutable ;
- On ne peut pas formuler la négation ;
- La locutrice est présente par le mot donc.
A cette occasion, René Cori a développé la différence fondamentale entre A donc B et si A alors B, sur le plan logique.
Pour la phrase 3, la négation n’est pas possible à formuler et la locutrice est présente à cause du « soit ».
La mathématique est l’art de donner le même nom à des choses différentes.
Henri Poincaré, Science et méthode
Selon René, il faut ajouter que c’est aussi l’art de donner à une même chose des tas de noms différents. Et même, ce que nous demandons à nos élèves, dans de très nombreux cas, se résume à : « je vous donne un objet sous une certaine forme ; donnez-moi, s’il vous plait, le même objet sous un autre nom ». Exemple :

La variable z a totalement disparu dans les propositions de réponses.

On peut répondre {M app P/MA=2MB}, ou bien « le cercle de centre O et de rayon 2 », et là M a disparu. Et quand on calcule une intégrale, on attend une valeur numérique, et la variable a aussi disparu.
Les noms sont indispensables pour former des propositions : il y en a toujours au moins un. Dans le premier exemple, z, z^2, 0, sont des noms. D’autre part, il y a des noms qui ne comportent aucun symbole autre que des lettres, mais seulement des mots du langage courant. Les noms peuvent être des expressions très longues ou compliquées, ou très courtes. Parmi celles-ci, certaines sont des variables.
L’objet désigné par une variable peut être fixe, ou… variable !

Un endroit où apparaît la variable est une occurrence. Il peut y avoir plusieurs occurrences d’une même variable dans une expression. Lorsqu’une variable apparaît, elle est appelée à désigner des objets qui appartiennent à un certain ensemble, qui peut être indiqué par le contexte. On dit que la variable prend ses valeurs dans l’ensemble en question, ou qu’elle est astreinte à cet ensemble. Pourquoi se fatiguer à écrire que la variable est astreinte à N, par exemple; alors que c’est plus facile d’écrire n app N ? Parce qu’on parle d’un objet, pas de la variable qui le désigne. C’est la différence entre signifiant et signifié, entre la syntaxe et la sémantique.
Je trouve qu’il y a beaucoup trop de cas où on sous-entend. Je préfèrerais qu’on entende plutôt que de sous-entendre.
Dans la langue naturelle, il n’y a pas de variable : la langue naturelle ne permet pas d’atteindre cette formalisation. Le recours à des variables, c’est ce qui distingue principalement le langage mathématique du langage naturel. Les variables peuvent avoir des occurrences muettes (ou liées) ou des occurrences libres (ou parlantes).

Dans les exemples déjà rencontrés, le n est muette dans la 1, et « e » se discute : cela dépend des conventions et du cadre dans lequel on se place. Si on considère « e » comme une variable, elle est libre.
Dans la deuxième, z est muette. Dans la 4, on peut considérer que O est une variable, libre alors. Le x est libre dans le 5. Dans le 6, X et Y sont libres. Dans la 10, M est muette et A et B sont libres.

Repérer les variable muettes est fondamental. Quand on regarde une expression, il faut prendre l’habitude de se demander de qui parle cette expression.
Dans l’expression « n peut s’écrire sous la forme au+bv avec u et v dans Z », u et v sont muettes et les autres sont libres. L’expression parle de n, a et b, pas de u et v, malgré les apparences. Ce qui permet de distinguer les unes des autres ici, c’est le mot « avec » : il y a toujours une quantification existentielle dissimulée pour annoncer des variables muettes. C’est embêtant qu’elle soit dissimulée, et c’est pour cela que cette formulation n’est pas souhaitable. Mieux vaudrait commencer par écrire n est un entier et a et b sont des entiers avant la suite.
L’élève de terminale qui voit ça, il se prend n, puis a, puis u, puis b, puis v dans la gueule direct. Ça fait beaucoup, hein, ça fait beaucoup !

Dans la première propriété, ça se discute, la formulation, déjà. Mais dans la deuxième, on peut déjà s’interroger sur le « propriété fondamentale ». Mais ensuite, rien sur b ni r, et pour k ça vient seulement après.
Pour René, ceci est aberrant :

Pour terminer, il est des symboles qui changent le sens, la nature des variables. Le repérage des mutifications est très important :

Une réflexion au sujet de « De quoi parlons-nous ? Et comment ? »