Un collègue m’a demandé mon avis sur cette publication de chez Circonflexe : c’est grand comment, un éléphant ? de Rossana Bossù. Sa question est relative à l’adaptation possible de cet album aux « activités de la baleine » (le lien vers le premier article de toute une série est ici).
Le principe est tout à fait similaire, en effet, à celui de Combien mesure la baleine ? On part d’une comparaison éléphant-ours polaire. On lit « il faut 7 ours polaires pour faire un éléphant ». D’accord, mais pour « faire un éléphant » comment ? En longueur, en hauteur, en masse, en volume, en surface du dessin qui le représente ?
Ce n’est pas clair, mais on peut en faire une force, et faire chercher aux enfants comment le déterminer. Ce pourrait être une bonne idée pour travailler sur diverses grandeurs et leur faire comprendre par l’action que le langage le plus précis est souhaitable, même si parfois c’est bien difficile. Et c’est aussi un chouette support pour aider aux élèves à sélectionner les sources, et trancher de la façon la plus raisonnable possible.
Alors j’ai essayé.
Gros ?
L’éléphant dessiné a de grandes oreilles. J’ai supposé qu’il s’agit d’un éléphant d’Afrique. Un éléphant d’Afrique pèse en moyenne autour de 5-6 tonnes, mesure entre 3m et 4m de haut, et dans les 7m de long. Ce sont des données issues de quatre sources différentes, et j’ai essayé de traverser les quatre sources. Pas facile, déjà. Il y a de grosses disparités. (mais qu’est-ce que je veux dire par « grosses » ? 😉 )
Un ours polaire pèse entre 500kg et une tonne (pfiou, c’est variable !), et mesure 1m à 1,5m de haut, et 2 à 3m de long,
Je penche donc pour la masse. C’est cohérent avec le titre de l’abus : c’est GROS comment, un éléphant. En général, gros fait référence à la masse.
Mais sur la page de gauche, c’est écrit « 1 ours polaire est plus petit qu’un (éléphant) ». Plus petit, ce n’est pas le contraire de gros au sens de lourd. Ce serait plutôt le contraire de gros au sens de grand. Et voilà, on aborde ce qui est intéressant ici : le langage.
Vérifions
Je cherche des données pour les autres animaux cités, pour vérifier si tout cela tient debout. Pour les alligators, c’est délicat : leur masse varie entre 30kg et 350kg selon les espèces. C’est donc intéressant à étudier en classe : que signifie la référence à l’alligator « en général » dans ces conditions ? J’ai dru chercher pour trouver un alligator qui pèse à peu près trois fois moins qu’un lion. J’ai trouvé les alligators de Chine, qui pèsent 60kg dans leur fourchette haute.
J’ai continué ainsi, et j’ai essayé de faire au mieux. Ca coince à partir du manchot empereur. Mais on est obligé de faire tant de choix… Cela dit, je n’arrive pas à trouver des choix raisonnables et cohérents avec les valeurs annoncées.
Je pourrais essayer avec la longueur et avec la hauteur. Je ne l’ai pas fait, mais quand je mènerai cette activité en classe, je le ferai en parallèle ou avec les élèves.
Que conclure ?
On peut estimer que les affirmations ne sont pas pertinentes, car on a trouvé d’autres valeurs ; mais on peut aussi conclure que l’auteur a peut-être raison, tout dépend de l’espèce, du spécimen considéré…
Ce qu’on peut tous conclure, je pense, c’est que l’album est tout de même potentiellement vecteur de représentations fausses. Dès le départ, parler de l’éléphant « tout court » est peu précis. Il y a beaucoup d’implicite. Maintenant, est-ce embêtant ? Tout dépend pour quel public, dans quel objectif et comment on anime la lecture de ce très joli album.
Et puis il a une vertu incontestable : il m’a fait réfléchir et je me suis bien amusée.